Les alliances maritimes rebattent les cartes portuaires en Europe
©© Haropa - Trois alliances et MSC se partagent l’essentiel des marchés conteneurisés est-ouest.
Février a donné le coup d’envoi d’une nouvelle structuration du transport maritime conteneurisé est-ouest. Trois alliances, composées des principaux armements du secteur, et son leader italo-suisse Mediterranean Shipping Company (MSC), se partagent l’essentiel des marchés Asie-Europe, transatlantique et transpacifique.
Sur les trois alliances, deux sont nouvelles, nées avec le départ ou l’arrivée de membres. Tel est le cas de Gemini Corporation qui rassemble le danois Maersk Line et l’allemand Hapag-Lloyd. Allié jusqu’à présent à Maersk dans une alliance baptisée 2M, MSC fait cavalier seul désormais. Appelée « Premier Alliance », un trio asiatique constitue la deuxième nouvelle alliance autour du japonais Ocean Network Express (ONE), du taiwanais Yang Ming et le sud-coréen Hyundai Merchant Marine (HMM). Ce trio était auparavant associé à Hapag-Lloyd (dans l’ex-THE Alliance). Îlot de stabilité dans ce chambardement, la troisième alliance a conservé ses membres. Baptisée Ocean Alliance, elle est composée du français CMA CGM, du chinois Cosco, du hongkongais Orient Overseas Container Line (OOCL) et du taiwanais Evergreen.
Entre ces quatre blocs, quelques collaborations ont été mises en œuvre par MSC sur les axes Asie-Europe avec Premier Alliance et sur le transpacifique avec l’israélien ZIM. Enfin, des armateurs, à l’image de Hapag-Lloyd, ont conservé la gestion de quelques services est-ouest en solo.
Croissance de l’offre globale
Selon les commissionnaires de transport, premiers clients des armements conteneurisés avec les chargeurs industriels et les distributeurs, cette refonte se solde par une augmentation de l’offre des lignes est-ouest. Le suisse Kuehne+Nagel constate que les services réguliers entre l’Europe et l’Asie sont passés de 17 à 24. Les liaisons Méditerranée-Asie doublent presque (de 9 à 17) et 5 nouvelles ont été créées sur le marché transatlantique (19 désormais). L’axe transpacifique, qui concerne moins l’Europe, enregistre aussi une offre en croissance.
Ces développements sont dus à MSC principalement. Seul, l’armateur italo-suisse a maintenu ou augmenté ses services est-ouest qu’il opérait avec Maersk auparavant. Avec Hapag-Lloyd dans Gemini, ce dernier a lui aussi maintenu l’offre de feu 2M.
Moins d’escales pour plus de fiabilité
Deux stratégies opposent les quatre blocs avec plus ou moins de force. La première, portée par l’alliance Gemini, mise sur la qualité et la fiabilité des services. Un défi dans le transport maritime et la ligne conteneurisée dite « régulière » en particulier. En 2024, le taux de ponctualité relevé par les commissionnaires de transport ou le consultant danois Sea-Intelligence était d’à peine 50 %, soit un retard moyen d’environ quatre jours ! En 2023, la ponctualité des services maritimes conteneurisés s’élevait à plus de 64 %, un record, et en 2022 à 39 % ! Fournir un service fiable supérieur à 90 % est au centre de la collaboration entre Maersk et Hapag-Lloyd à partir d’une organisation dite « hub and spoke ». Elle s’appuie sur des porte-conteneurs « mères » de grande taille alignés sur des rotations comptant peu d’escales dans des « ports-hubs » ou ports pivots. Lesquels sont le point de départ et d’arrivée d’un réseau de navettes maritimes, appelées « feeders », qui desservent d’autres ports « secondaires ». En contrepartie d’un temps de transport possiblement rallongé (par rapport à une escale directe), la diminution des ports touchés par les navires « mères » et la mise en œuvre d’un réseau maillé, flexible et à fréquence élevée de feeders assurerait une meilleure ponctualité et fiabilité selon Gemini. Dans ce cadre, les terminaux utilisés dans les ports-hubs appartiennent aux groupes A.P. Møller-Maersk ou Hapag-Lloyd. Ils seront équipés de systèmes de manutention optimisant les transbordements, promettent-ils. En matière d’offres, la nouvelle alliance déploie un plan de transport composé de 29 lignes principales et d’une trentaine de services feeders. Ce plan est opéré par 340 navires, si passage par le cap de Bonne-Espérance, et par 300 navires quand le canal de Suez sera de nouveau empruntable. Selon l’une ou l’autre option, la capacité alignée est comprise entre 3,4 et 3,7 MEVP !
Face à Gemini, MSC, Ocean Alliance et Premier Alliance opposent le service via un nombre plus élevé de ports touchés en direct. Cette approche multiplie en revanche les risques d’aléas à chaque escale, voire de saut ou la suppression d’escale (blank sailing) pour rattraper les retards éventuels.
Le Havre et Marseille boudés par Gemini
La desserte des ports est au cœur des deux stratégies. Dans son plan de transport, Gemini n’a retenu aucun port français. Le Havre et Marseille sont desservis par feeders : deux pour le port normand depuis Felixstowe, Rotterdam, Hambourg, Bremerhaven ou Wilhelmshaven, et un dans le cas du port phocéen via Barcelone, Algésiras ou Tanger Med.
À l’inverse, Le Havre gagne de nouveaux services directs Asie-Europe opérés par MSC. Le port normand conserve les lignes existantes d’Ocean Alliance et de Premier Alliance (de feu THE Alliance). À l’issue de la récente reconfiguration, le solde havrais est positif avec le gain d’un service. Sur le Transatlantique par exemple, MSC l’intègre dans quatre de ses six services désormais.
Dans le range portuaire nord-ouest européen, le principal perdant semble Anvers-Bruges avec la perte de quatre services et London Gateway avec deux lignes en moins. En revanche, les soldes sont positifs à Felixstowe, Southampton et Hambourg. Rotterdam est le seul port de la zone pour lequel le remaniement n’a pas eu d’impact en nombre de services et est le plus gâté par l’alliance Gemini.
Au sud, Marseille-Fos apparaît dans deux des six services Asie-Méditerranée opérés par MSC. Sur le transatlantique, il apparaît dans l’une de ses cinq lignes. Ocean Alliance et Premier Alliance y maintiennent leurs services.
Les autorités de la concurrence internationales sollicitées ou qui se sont autosaisies ont validé la mise en œuvre des nouvelles alliances. Les chargeurs, industriels et distributeurs rassemblés au sein de l’Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF) demandent toutefois à la Commission européenne et aux régulateurs de suivre leur conformité face aux distorsions de marché. La décision de ne pas renouveler le règlement européen d’exception en faveur des consortiums est en effet l’une des raisons de la récente reconfiguration du transport maritime conteneurisé. Elle a été suivie notamment par la dissolution de l’alliance 2M entre les deux premiers armements mondiaux du secteur, Maersk et MSC. Si les membres de l’AUTF se montrent prudents sur les gains de cette reconfiguration en ce qui concerne les services, la qualité et les coûts, les commissionnaires rassemblés au sein de l’Union des entreprises de transport et Logistique de France (TLF) sont plus inquiets. À leurs yeux, le choix de Gemini de ne pas retenir Le Havre ni Marseille/Fos affaiblit l’attractivité des ports français. Battant en brèche les arguments de Maersk et d’Hapag-Lloyd, TLF estime que la suppression de liaisons directes « augmente le risque de défaillance dans la correspondance entre les feeders et les navires “mères” tout en allongeant les temps de transit (durée d’un voyage maritime) ». Les mouvements sociaux dans les ports français depuis le début de l’année, mêlant heures et journées chômées, pourraient expliquer le choix de l’alliance Gemini à la recherche d’une fiabilité sans faille…
Erick Demangeon
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Le 7 avril 2022, le Forum Vies Mobiles a publié : « La Ville du quart d’heure : voie à suivre ou mirage idéologique ? » Carlos Moreno, le diffuseur de la ville du quart d’heure, et Pierre Veltz, ingénieur, économiste et urbaniste, qui en remet en cause les vertus, répondaient aux questions introductrices de Vincent Kaufmann. J’invite nos lecteurs à qui cette publication aurait échappé à lire les deux contributions qui posent des questions importantes pour le pilotage des évolutions économiques, écologiques, sociales et territoriales auxquelles notre pays doit faire face. Dans une France en archipel sur le plan territorial et sociologique, que les commentateurs du dernier scrutin s’accordent à déclarer fracturée sur le plan politique, il sera utile d’explorer rationnellement les points de la controverse pour trouver des solutions opératoires et acceptées. La disjonction entre la ville des électeurs et la ville active des travailleurs de la première ligne et des jeunes cadres et employés du secteur productif explique pourquoi la maire de Paris (à l’instar des maires socialistes et verts des grandes villes) a obtenu un score très élevé aux élections municipales et assez modeste au niveau national. Ce n’est pas uniquement l’effet d’un vote utile. Un entrepreneur politique ne présente plus une offre collective, mais tente d’agréger les différentes demandes de ses « clients », face à des attentes aussi divergentes et sans projets collectifs, ce n’est pas facile. Avec le « package de la ville du quart d’heure », on gagne les municipales, mais on n’a pas de projets collectifs pour la Nation.
Lors des scrutins locaux, les électeurs des grandes villes choisissent ce qui leur semble être le meilleur programme pour gérer leur cocon urbain habillé par des valeurs correspondant à leur intérêt immédiat. Au niveau national, les citoyens comprennent assez clairement qu’il faut que la machine à produire du pouvoir d’achat continue de fonctionner et estiment, majoritairement, qu’il n’est pas tout à fait sérieux d’affirmer que les difficultés d’un pays où les dépenses publiques pèsent structurellement 55 % du PIB résultent au premier chef des effets d’un néolibéralisme effréné.La fin de l’opposition entre la droite et la gauche historiques (au sens ancien : les rentes vs l’égalité des chances, le partage de la valeur ajoutée entre le travail et le capital, la reproduction des conditions, surtout à travers l’école et l’héritage immobilier1 vs le mérite, l’émancipation par la culture et le travail vs l’aliénation du travailleur machine, etc.) n’est pas le fruit d’une recomposition politique, mais la traduction idéologique d’une évolution fondamentale. Jusqu’à la fin des années 1980, en France, on pouvait encore dire « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain » sans être contredit par les faits.
Les forts gains de productivité du secteur productif généraient un surplus suffisant pour financer l’extension des services publics et de l’État providence. Les surplus d’aujourd’hui servent une augmentation de la valeur des actifs qui concentre le patrimoine et alimentent surtout les recettes fiscales. Il s’en suit une perte de sens et même une inversion des valeurs. La valeur travail, le mérite, l’ouverture sont revendiqués par le bloc élitaire et le repli identitaire, nationaliste ou vers des petites communautés localistes et des tribus sont devenues des valeurs de la gauche populaire qu’elle soit classée – à tort pour la majorité des électeurs – d’extrême droite ou d’extrême gauche. Sans un projet collectif, il sera difficile de concilier des aspirations démocratiques si différentes selon les échelles. Il s’agit d’un défi majeur pour les politiques d’aménagement des territoires et de transport dans un contexte de retour de l’inflation et de nécessaire maîtrise de la consommation d’énergie. L’équipe de TI&M – économie, politique, société – prépare un dossier dans les prochains mois pour apporter sa contribution au débat.
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