L’ÉDITO
CHRONIQUES
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Des signes inquiétants de réémergence de la « conception des deux sciences » appliquée aux lois de la physique
CHRONIQUES
Décarboner le transport de fret : la question des carburants n’est pas résolue
LOGISTIQUE : PAS DE PILOTAGE SANS TABLEAU DE BORD !
ÉDITO
Des signes inquiétants de réémergence de la « conception des deux sciences » appliquée aux lois de la physique
Les travaux préparatoires à la planification pluriannuelle de l’énergie et à la nouvelle stratégie nationale bas carbone s’accélèrent dans un contexte où la disponibilité d’électricité à coût acceptable et raisonnablement décarbonée pose question. Les choix qui en résulteront engageront pour de longues années notre pays. Le sujet mérite donc un débat rationnel qui s’appuie sur un savoir scientifique ne faisant l’impasse ni sur la réalité des lois de la physique ni sur les dimensions économiques et sociales du sujet.
Que l’on partage ou non les raisonnements de Jean-Marc Jancovici quant à l’importance de l’énergie nucléaire pour permettre une sortie du monde thermo-fossile de façon acceptable sur un plan économique et social, il est hautement souhaitable pour la qualité du débat démocratique d’être en mesure d’argumenter.
Usurpation d’identité et culture de l’effacement
Quelques semaines avant Noël, visiblement inquiets des effets de la bande dessinée de Christophe Blain et de Jean-Marc Jancovici sur la formation de l’opinion publique, des individus ont adressé aux libraires un faux erratum en usurpant l’identité d’une soi-disant « commission Environnement » de Dargaud. Une commission qui, si elle avait existé, aurait été chargée de déterminer ce qui est correct d’écrire sur les lois de la physique et de l’énergie. Une « démarche » qui n’est pas sans rappeler la commission Lyssenko sur la génétique.
Nous nous sommes demandé s’il était opportun de donner une publicité à cet erratum. La construction de ce type de texte que l’on commence à retrouver jusque dans les lieux d’enseignement scientifique nous semble justifier, à titre prophylactique, qu’il soit
soumis à l’analyse pour sensibiliser sur le procédé. « Nous sommes cependant au regret de devoir publier un erratum et d’attirer votre attention sur certains points importants. Jean-Marc Jancovici a maintes fois démontré son formidable talent de vulgarisateur scientifique. Nous devons néanmoins reconnaître son manque de compétences flagrant en sciences humaines. Cette lacune lui fait réduire toute lecture sociale et économique à son point de vue d’ingénieur, alors que le développement technologique ne fait pas tout. Par exemple, à plusieurs reprises, les évolutions du prix du pétrole ou les avancées démocratiques ne sont hélas présentées que comme de pures variables mathématiques, et l’influence des luttes sociales et des dynamiques géopolitiques est tout bonnement mise aux oubliettes. Cela revient à un appauvrissement certain de l’Histoire qui peut entraver la bonne compréhension des ressorts complexes qui nous ont conduits aux enjeux écologiques actuels… »
« Cela nous met dans l’embarras et nous semble assez problématique pour devoir vous en informer. L’orientation générale du livre, malgré son apparente critique de la croissance, est de tendance libérale et plutôt autoritaire (sic !), comme vous l’aurez sûrement relevé. Il n’y a pas à s’étonner outre mesure de cette position, étant donné que le think tank The Shift Project, dirigé par notre auteur, est financé par des entreprises influentes comme EDF, Bouygues, Vinci, Michelin… Mais par souci de transparence, nous nous devions de souligner cette information auprès de celles et ceux d’entre vous qui peut-être l’ignoraient. »
« Bref, vous l’aurez compris, bien que doté d’un esprit de synthèse impressionnant et porté par les dessins efficaces de Blain, Jean-Marc Jancovici peut avoir le malheur de simplifier à outrance des problèmes de société,
et exprime de simples opinions politiques avec l’assurance de la vérité scientifique. Ce biais intellectuel empêche de penser les problématiques autrement qu’en solutions technologiques, à une époque où le mouvement écologiste saisit la nécessité de prendre conscience des différents systèmes d’exploitation auxquels il fait face (capitalisme, colonialisme, industrialisme…). Nous ne pouvons le cautionner ni en tant qu’éditeurs ni en tant que personnes sensibles et douées de raison. Pour autant, nous ne retirerons pas la bande dessinée de la vente, car nous croyons malgré tout en sa qualité : cette œuvre pousse, à sa façon, son lectorat à l’esprit critique, voire à l’indignation. Alors à vous de jouer, chers lectrices et lecteurs ! Saurez-vous déceler les erreurs et faux qui jonchent le texte ? Nous nous en remettons à vous ! N’hésitez pas à nous envoyer vos courriers de correction, que nous pourrons peut-être intégrer lors d’une réédition. La commission Environnement de Dargaud contact@dargaud.fr »
Un procédé déloyal (l’usurpation d’identité) et une tentative de décrédibilisation typique de la culture de l’effacement. Outre ce délit, les magistrats auront sans doute à qualifier le caractère diffamatoire ou non de certains propos.
Les lecteurs peuvent aussi consulter les cartes intéressantes qui présentent l’intensité en carbone de l’électricité produite et consommée en Europe et surtout la suivre en temps réel sur le site : https://app.electricitymaps.com/map
Hervé Nadal
Décarboner le transport de fret : la question des carburants n’est pas résolue
Selon la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), les émissions de CO2 des transports devraient, en 2030, être 30 % inférieures à celles de 2015. Comment faire pour le transport de marchandises ?
Les données du Citepa nous apprennent qu’en 2015, les émissions de gaz à effet de serre (GES) des véhicules lourds (camions et autocars) étaient de 33,5 millions de tonnes (Mt). Or elles étaient toujours au même niveau en 2021. Pour respecter les objectifs de la SNBC, il faudrait que ce chiffre baisse de 10 Mt en neuf ans, soit une réduction de 4 % par an. Comment relever ce défi ?
Les variables clés de la décarbonation
Dans la fameuse identité de Kaya, cinq variables clés influent sur les émissions de GES : le type de carburant, l’efficience des moteurs, le taux de remplissage des véhicules, le niveau de la demande et le partage modal. Sur les deux dernières, faisons – en première analyse – une hypothèse (très) optimiste : un quasi-doublement du fret ferroviaire, de 35 à 70 milliards de tonnes.km (Tkm) réduirait de 10 % le volume de fret routier, de 292 à 260 milliards de Tkm, soit une baisse de 1,3 % par an, alors que la tendance des dix dernières années est une faible progression (+0,4 %/an). Dans le même temps, il faudrait que les émissions par véhicule-km baissent de 22 %, de 114 à 90 grammes par Tkm, soit -2,7 % par an de 2021 à 2030 au lieu des -1 % observés dans la dernière décennie. En combinant réduction des volumes (-10 %) et des émissions unitaires (-22 %), on obtient le résultat souhaité.
Mais avec des hypothèses ad hoc dont nous pouvons tirer deux enseignements.
Le premier est que pour le seul transport routier de marchandises, l’identité de Kaya se réduit à deux variables en forme d’évidence arithmétique. Le niveau des émissions résulte du produit de la demande, exprimée en Tkm, par les émissions unitaires par Tkm en considérant un taux de remplissage stable à environ 8 tonnes par véhicule-km.
Le second, que nous a appris la pandémie, est que le transport de fret est encore plus indispensable que le transport de voyageurs. À l’avenir, les Tkm du transport routier représenteront plus des trois quarts des flux dans les prochaines décennies. La variable décisive est donc le niveau des émissions unitaires des camions et donc le remplacement des carburants d’origine fossile.
Des incertitudes persistantes sur les carburants du futur
Pour les poids lourds, à la différence des automobiles, l’électrification n’est ni pour demain ni évidente. La capacité des batteries, la localisation des bornes de recharge, les capacités du réseau et de la production sont encore plus incertaines. D’où le débat non tranché entre autonomie complète des camions et alimentation en continu par un rail ou des caténaires. La prudence étant de mise pour l’électrification, il y a deux ans, une stimulante étude de l’IDDRI¹ a proposé un scénario de décarbonation du transport de fret. Les parts relatives du diesel, du gaz naturel pour véhicules (GNV) et de l’électrique devaient être respectivement de 67, 25 et 8 % en 2030 puis de 10, 60 et 30 % en 2050.
La très lente progression de l’électrique était une hypothèse raisonnable qui imposait de trouver une autre solution. Le GNV était le candidat idéal de la transition qui s’amorçait alors. Elle a été brutalement interrompue par la hausse vertigineuse des prix du gaz.
Le diesel semble donc plus que jamais incontournable. Pour cette raison, les agrocarburants pointent le bout de leur nez, notamment en France avec le B100. Issu de la production de colza, il peut être utilisé par les véhicules diesel sans modification. Mais il existe désormais des camions B100 exclusifs qui bénéficient d’une vignette Crit’Air 1 autorisant la circulation dans les zones à faibles émissions (ZFE).
Le problème avec les agrocarburants ou les produits de type XTL obtenus à partir d’huile végétale ou de méthaniseurs est leur disponibilité. D’une part, car leur production entre en compétition avec la production alimentaire et, d’autre part, car d’autres candidats se présentent pour les utiliser, comme le transport aérien. Le même constat s’impose pour l’hydrogène produit à partir d’énergie renouvelable qui pourrait aussi alimenter des trains, des navires et à terme des avions.
Enfin, dernier point, mais non le moindre, ces nouveaux carburants risquent de coûter beaucoup plus cher que le pétrole. Ils ne pourront donc subir les mêmes niveaux de taxe, réduisant d’autant les recettes publiques, alors même que leur développement va demander beaucoup de subventions.
Il ne serait donc pas surprenant de constater, pour les poids lourds, une forte résistance du diesel au cours de la décennie, voire au-delà. Les politiques publiques pourraient alors, via les ZFE, se concentrer sur les utilitaires légers (VUL) qui émettent plus de 18 Mt de GES chaque année. Mais les VUL utilisés pour le fret sont minoritaires par rapport à ceux des artisans, sans oublier les camping-cars !
Notes
- https://www.iddri.org/sites/default/files/PDF/Publications/Catalogue%20Iddri/Rapport/202003-rapport%20fret%20FR_2.pdf
LOGISTIQUE : PAS DE PILOTAGE SANS TABLEAU DE BORD !
La chronique d’une meilleure prise en compte de la logistique dans notre pays a été notée ici même, allant de la Conférence nationale pour la logistique de 2015¹ jusqu’à l’instauration des Cilog en 2020² (voir les magazines TI&M n°ˢ 507, 515, 519 et 524).
La logistique, un domaine hybride
Une pièce manquait à cette construction : un dispositif de présentation synthétique de la logistique. Si diverses sources d’information de qualité existent heureusement, il s’agit de dégager une vue d’ensemble, partagée par toutes les parties prenantes, de l’état de la situation. Une information diachronique permet en outre d’analyser les évolutions du système et d’évaluer, au fil des ans, les effets des décisions prises. Pour le dire plus simplement, le pilotage du système logistique a besoin d’un tableau de bord.
On sait les difficultés méthodologiques à surmonter pour y parvenir. La logistique est une activité composite qui associe plusieurs productions traditionnellement distinctes : transport, entreposage, manutention, tri, emballage, sans oublier l’exploitation des systèmes d’information et des sites et bâtiments adéquats ;
elle se répartit entre compte propre (les activités logistiques internes à des entreprises industrielles ou commerciales avec leurs propres moyens) et compte d’autrui (les prestations logistiques fournies à des clients par des entreprises spécialisées) ;
enfin la logistique s’inscrit dans le système de production et de distribution de manière transversale à toutes les activités. Ni le dispositif statistique, ni les organisations professionnelles, ni les structures administratives ne correspondent aisément au domaine hybride qu’est la logistique. L’intérêt que lui porte l’État s’organise ainsi dans un cadre interministériel.
Analyses et observatoires
Une première édition d’un tel tableau de bord³, au préalable destiné à nourrir les réflexions des Cilog, a été réalisée en 2022 par l’Université Gustave Eiffel avec le soutien du ministère de l’Écologie (DGITM) et du ministère de l’Économie (DGE). Ce travail a été présenté pour discussion à une centaine d’experts de l’administration centrale et décentralisée, des régions, des milieux professionnels et académiques, lors d’une session tenue le 23 novembre 2022.
Ce tableau de bord présente les chiffres clés et les tendances concernant le transport routier de marchandises, le transport ferroviaire et fluvial et le transport maritime et aérien. S’y ajoute une analyse de la performance économique, des prix et des coûts, des impacts environnementaux et de la performance sociale du transport de fret et de la logistique, ainsi que des liens entre logistique et territoire et de l’innovation en logistique, pour se conclure avec des pistes d’amélioration pour les éditions futures. Sur ces bases, un éditorial dresse un constat des forces et faiblesses de la logistique française. Le document est en libre accès⁴.
La seconde partie de la journée du 23 novembre était consacrée aux observatoires régionaux de la logistique en cours de mise en place par l’administration déconcentrée et les régions. La complémentarité et la cohérence des travaux à l’échelle nationale et à l’échelle régionale ont été vivement souhaitées par les participants.
Une nouvelle étape de la connaissance du système logistique de notre pays, pour mieux en piloter l’amélioration, s’ouvre ainsi. À observer attentivement…
Note
- La Logistique en France. État des lieux et pistes de progrès, rapport du comité scientifique, ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, ministère de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, mars 2015.
France Logistique 2025. Une stratégie nationale pour la logistique, République française, mars 2016.
2. Daher P. et Hémar E., Pour une chaîne logistique plus compétitive au service des entreprises et du développement durable, septembre 2019.
Dossier de presse : Comité interministériel de la Logistique (Cilog), décembre 2020.
3. Blanquart C., Vilain P. et Savy M., Tableau de bord de la logistique en France, pour le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et le ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Université Gustave Eiffel, décembre 2022.
4. https://splott.univ-gustave-eiffel.fr/observatoire-national-de-la-logistique
ACTUALITÉS
DOSSIER À LA UNE

Les défis de la logistique
► INTRODUCTION
Hervé Nadal - Directeur de la publication
► RÉSILIENCE, COMPÉTITIVITÉ, DÉCARBONATION : VERS UNE STRATÉGIE NATIONALE LOGISTIQUE
Anne-Marie Idrac - Présidente de France Logistique, ancienne ministre
► LES CONDITIONS DE RÉUSSITE D'UN REPORT MODAL MASSIF VERS LE TRANSPORT COMBINÉ RAIL-ROUTE
Aurélien Barbé - Délégué général du GNTC
► FONCIER LOGISTIQUE : DES BONNES INTENTIONS AUX MÉTHODES DE QUANTIFICATION ET DE PLANIFICATION
Claude Samson - Président d'Afilog
► LA LOGISTIQUE FLUVIALE, UN LEVIER ET UN MAILLON POUR RENDRE PLUS SOUTENABLE LE TRANSPORT DE MARCHANDISES
Lionel Rouillon - Directeur du développement de VNF
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