Le secteur des infrastructures vient de vivre un scénario impensable aux conséquences pratiques encore difficiles à mesurer. La justice a stoppé un chantier d’autoroute dont 70 % des ouvrages d’art sont déjà construits. Le 27 février, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l’arrêté préfectoral du 1er mars 2023 autorisant la construction de la controversée autoroute A69 Toulouse-Castre (53 km) censée ouvrir fin 2025, pour un coût de 400 M€. Donnant raison aux nombreuses associations les ayant saisis, les juges ont considéré qu’elle ne répondait pas « à une raison impérative d’intérêt public majeur » pour justifier la dérogation accordée à la destruction d’espèces et de leur habitat. L’accidentologie sur l’axe existant n’est pas suffisante, le bassin concerné n’est pas en déclin démographique ni économique, les projections de trafic sont gonflées d’autant que « le prix élevé de la liaison d’environ 16 € » paraît aux juges « de nature à relativiser les estimations de fréquentation » et à détourner les transporteurs locaux qui constituent l’essentiel du trafic poids lourds.
Le jugement étant suspensif (à moins que l’État, qui a fait appel, obtienne un sursis à exécution), le chantier paraît durablement bloqué et pour être définitivement fixé sur le sort de l’A69, il faudra attendre la position du Conseil d’État susceptible de faire jurisprudence. « Quel acteur économique pourrait raisonnablement s’engager dans un nouveau projet, qui peut se retrouver remis en question du jour au lendemain ? » interroge la FNTP. De son côté, l’ex-ministre des Transports François Durovray prône « la solution d’une loi d’habilitation » pour sauver l’A69.
En cas d’arrêt définitif, se posent la question de l’indemnisation par l’État du concessionnaire, ainsi que celle, inédite, de la responsabilité de la remise en état du site (effacement des traces du chantier, reconstitution des terres agricoles). Encore plus inédite est la question de la marque imprimée sur les déplacements locaux. La préparation de l’A69 a conduit l’État et les collectivités à remodeler les infrastructures existantes pour orienter les flux vers elle en intégrant à l’autoroute deux déviations existantes, faisant de la RN 126 sans déviation l’itinéraire de substitution. Les usagers « subiront non seulement un allongement d’une dizaine de minutes de leur temps de parcours entre Castres et Toulouse, mais également une augmentation de la dangerosité de ce parcours par la traversée de villes jusqu’à lors contournées », souligne le jugement. Pour le coup, le terme d’ubuesque utilisé par le ministre des Transports Philippe Tabarot pour qualifier la situation est justifié.
Ce ratage constitue un avertissement pour l’exécutif qui, depuis le début du second quinquennat, prévoit d’éliminer une liste de projets d’autoroute qu’il jugera dispensables. Il souligne l’intérêt d’éliminer d’emblée les mauvais projets. Si Philippe Tabarot est critique sur la décision, pour son prédécesseur François Durovray, « les juges n’ont pas outrepassé leur pouvoir et l’État de droit a été respecté ». Soumis aux pressions des élus et milieux économiques locaux, du secteur des travaux publics, l’État qui a signé la DUP de l’A69 en 2018, attribué la concession en 2022 a ignoré les réserves de l’ART puis celles de l’Autorité environnementale qui remettaient en cause le sérieux des études socio-économiques préalables. Enfin, face aux fragiles prévisions de trafic, l’État et les collectivités ont tenté de bricoler in extremis un aménagement de la concession envisageant d’accorder une baisse des péages de 33 % à la charge des collectivités, mais qui ne concernerait qu’une partie de l’A69. À la décharge de l’État, introduite par la LOM en 2019, la possibilité pour le juge d’évaluer l’intérêt public majeur d’un projet après la DUP introduit un risque et plaide pour l’intégration de cette étape en amont.