Un modèle pour le transport routier longue distance décarboné
©© Ceva Logistics - Station-relais multi-énergies sur l’aire de Sommesous de l’A26.
Sur de longs trajets, le transport routier de marchandises (TRM) réalisé avec des véhicules lourds équipés de motorisations zéro ou bas carbone est plus cher qu’avec des véhicules thermiques fonctionnant au diesel ou avec des biocarburants. Ce surcoût a plusieurs origines qui peuvent s’additionner : le prix des véhicules, l’installation (et l’éventuel raccordement à des réseaux) des infrastructures de distribution d’énergies décarbonées et le tarif de ces énergies. Dans le TRM, le prix d’un camion roulant au gaz est plus cher d’environ 25 % qu’un modèle thermique équivalent et celui d’un poids lourd électrique est deux fois plus élevé. Maximiser le temps de roulage et les kilomètres parcourus améliore le coût de possession total (TCO) des véhicules équipés de motorisations zéro ou bas carbone, à condition de respecter les règles sociales et de conduite en vigueur. Dans le TRM, le temps de conduite est de 4 h 30 d’affilée suivi d’une pause de 45 minutes, et de 9 à 11 h par jour suivi d’un arrêt d’une durée équivalente fragmentable. Ce cadre limite l’optimisation d’un camion conduit par un seul conducteur. Enfin, l’autonomie de certaines motorisations alternatives est un facteur à prendre en compte dans un modèle optimisant le TRM décarboné sur longue distance.
Modèle ECTN
Créée par le transporteur et logisticien Ceva Logistics, filiale du groupe CMA CGM, l’énergéticien Engie et le concessionnaire autoroutier Sanef, filiale du groupe Abertis, l’alliance European Clean Transport Network (ECTN) a validé un modèle qui intègrent ces conditions. Validé par le cabinet Carbone 4, il s’inspire des relais postaux. Ce modèle repose sur la séparation entre le conducteur, le véhicule tracteur et la remorque. Il a été testé pendant seize mois avec des camions roulant au biogaz sur un axe Lille-Avignon (900 km) équipé de cinq stations-relais distribuant cette énergie. Sur ce corridor, les tracteurs et les chauffeurs effectuent des allers-retours entre les stations-relais sur une distance d’environ 300 km adaptée à l’autonomie actuelle de tous les camions « décarbonés ». Sur chaque station-relais, les conducteurs changent de remorque et prennent leur pause obligatoire de 45 minutes puis reviennent à leur point de départ avec une nouvelle remorque.
Cette organisation diviserait par 4 les émissions de gaz à effet de serre (GES) grâce aux boucles entre les stations-relais réalisées par des poids lourds bas carbone à la place de camions diesel. La suppression de la pause nocturne diminuerait de 25 % le temps de transport des remorques entre Lille et Avignon, passant de 23 à 17 h. Lors du test, les camions au biogaz ont parcouru 225 000 km par an (contre une moyenne de 110 000 km en exploitation « normale »). Quant à l’aménagement de stations-relais sur des aires d’autoroutes, il ne nécessiterait pas de foncier particulier selon Sanef. L’alliance met également en avant « l’amélioration des conditions de travail » grâce à des trajets fixes assurant un retour au domicile tous les jours.
Avec la même organisation, des bornes de recharge électriques sont installées ou en cours d’installation sur les stations-relais. La seule publique à ce jour sur l’aire de Sommesous de l’A26 en a inauguré deux le 25 avril. De 400 kW, elles sont gérées par Engie Vianeo et chargent les camions électriques à 80 % en moins de 45 minutes (une durée inférieure au temps de pause obligatoire des conducteurs). Enfin, la mutualisation de bornes sur des stations-relais publiques les optimise et améliore leur rentabilité. Selon Carbone 4, elles pourraient être utilisées jusqu’à 16 h par jour contre quelques heures en moyenne.
Selon Carbone 4, le déploiement de ce modèle en Europe supposerait la création de 190 stations-relais multi-énergies sur autoroutes, ou à proximité, au service d’au moins 5 000 camions électriques produisant 15 Mt.km par an. Une trentaine de stations couvrirait la France. Le cabinet a identifié plus de 6 000 corridors routiers européens (1 230 km en moyenne). Avec un détour de 9 % par rapport à la route directe, la distance entre les stations-relais serait de l’ordre de 285 km. Carbone 4 estime que ce modèle « est économiquement et environnementalement pertinent à partir de corridors de 750 km ». Il réduirait de 60 % les émissions de GES du TRM européen et rendrait un camion électrique plus rentable d’environ 20 % qu’un camion diesel (compensant les 9 % de parcours supplémentaire). Son amorçage supposerait un financement public pour construire les stations-relais, estimé à moins de 1 Md€ pour la France.
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Le 7 avril 2022, le Forum Vies Mobiles a publié : « La Ville du quart d’heure : voie à suivre ou mirage idéologique ? » Carlos Moreno, le diffuseur de la ville du quart d’heure, et Pierre Veltz, ingénieur, économiste et urbaniste, qui en remet en cause les vertus, répondaient aux questions introductrices de Vincent Kaufmann. J’invite nos lecteurs à qui cette publication aurait échappé à lire les deux contributions qui posent des questions importantes pour le pilotage des évolutions économiques, écologiques, sociales et territoriales auxquelles notre pays doit faire face. Dans une France en archipel sur le plan territorial et sociologique, que les commentateurs du dernier scrutin s’accordent à déclarer fracturée sur le plan politique, il sera utile d’explorer rationnellement les points de la controverse pour trouver des solutions opératoires et acceptées. La disjonction entre la ville des électeurs et la ville active des travailleurs de la première ligne et des jeunes cadres et employés du secteur productif explique pourquoi la maire de Paris (à l’instar des maires socialistes et verts des grandes villes) a obtenu un score très élevé aux élections municipales et assez modeste au niveau national. Ce n’est pas uniquement l’effet d’un vote utile. Un entrepreneur politique ne présente plus une offre collective, mais tente d’agréger les différentes demandes de ses « clients », face à des attentes aussi divergentes et sans projets collectifs, ce n’est pas facile. Avec le « package de la ville du quart d’heure », on gagne les municipales, mais on n’a pas de projets collectifs pour la Nation.
Lors des scrutins locaux, les électeurs des grandes villes choisissent ce qui leur semble être le meilleur programme pour gérer leur cocon urbain habillé par des valeurs correspondant à leur intérêt immédiat. Au niveau national, les citoyens comprennent assez clairement qu’il faut que la machine à produire du pouvoir d’achat continue de fonctionner et estiment, majoritairement, qu’il n’est pas tout à fait sérieux d’affirmer que les difficultés d’un pays où les dépenses publiques pèsent structurellement 55 % du PIB résultent au premier chef des effets d’un néolibéralisme effréné.La fin de l’opposition entre la droite et la gauche historiques (au sens ancien : les rentes vs l’égalité des chances, le partage de la valeur ajoutée entre le travail et le capital, la reproduction des conditions, surtout à travers l’école et l’héritage immobilier1 vs le mérite, l’émancipation par la culture et le travail vs l’aliénation du travailleur machine, etc.) n’est pas le fruit d’une recomposition politique, mais la traduction idéologique d’une évolution fondamentale. Jusqu’à la fin des années 1980, en France, on pouvait encore dire « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain » sans être contredit par les faits.
Les forts gains de productivité du secteur productif généraient un surplus suffisant pour financer l’extension des services publics et de l’État providence. Les surplus d’aujourd’hui servent une augmentation de la valeur des actifs qui concentre le patrimoine et alimentent surtout les recettes fiscales. Il s’en suit une perte de sens et même une inversion des valeurs. La valeur travail, le mérite, l’ouverture sont revendiqués par le bloc élitaire et le repli identitaire, nationaliste ou vers des petites communautés localistes et des tribus sont devenues des valeurs de la gauche populaire qu’elle soit classée – à tort pour la majorité des électeurs – d’extrême droite ou d’extrême gauche. Sans un projet collectif, il sera difficile de concilier des aspirations démocratiques si différentes selon les échelles. Il s’agit d’un défi majeur pour les politiques d’aménagement des territoires et de transport dans un contexte de retour de l’inflation et de nécessaire maîtrise de la consommation d’énergie. L’équipe de TI&M – économie, politique, société – prépare un dossier dans les prochains mois pour apporter sa contribution au débat.
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