La fin du monopole de fait de la SNCF dans la maintenance lourde des matériels roulants est l’aspect le plus méconnu des effets de la libéralisation du transport ferroviaire régional. Elle est pourtant porteuse d’enjeux industriels, financiers et sociaux importants, le marché se chiffrant en centaines de millions d’euros par an. « Cette activité historiquement assurée par la SNCF alimente ses technicentres, mais désormais ouverte au choix, elle intéresse différents types d’acteurs comme les constructeurs, les spécialistes de la maintenance et les loueurs », explique Patrick Jeantet, le président de la Fédération des industries ferroviaires (FIF). « La maintenance lourde des TER nous intéresse beaucoup, confirme-t-on chez CAF France, elle apporte de la visibilité. »
Le décentrage du rôle de la SNCF dans les opérations mi-vie ou de rénovation découle de la nouvelle place accordée aux régions. Désormais propriétaires des matériels, les autorités organisatrices régionales ont aussi la main sur l’organisation de la maintenance, depuis l’entretien courant jusqu’aux opérations patrimoniales.
L’obligation d’appels d’offres s’impose désormais. Jusqu’à présent, faute d’acteurs disposant de capacités industrielles conséquentes, du savoir-faire, les régions ne pouvaient échapper aux contrats de gré à gré avec l’opérateur historique. Parmi les derniers exemples de cet ancien régime, le marché de 1,4 Md€ signé sans appel d’offres l’an dernier par Île-de-France Mobilités pour un peu moins de 150 rames du RER B. « Soit 10 M€ par rame, la moitié du prix d’un train neuf, cela nous paraît excessif », s’étonne la FNAUT Île-de-France. Sur la Côte d’Azur, l’entrée en phase d’exploitation du premier contrat de TER confié à un concurrent de la SNCF met en évidence un nouveau système : Transdev réalise dans les ateliers de Nice affectés à Nice-Marseille l’entretien courant des rames neuves de la région. Lorsqu’elles arriveront à demi-vie, on peut imaginer deux scénarios : soit l’opérateur choisira un candidat pour les opérations lourdes, soit la région elle-même organisera un marché. Certitude : chaque région monte en compétence et structure sa Rosco (rolling stock company) – seule ou en binôme comme Nouvelle-Aquitaine et Occitanie et plus récemment Pays de la Loire et Normandie – pour maîtriser le cycle de vie d’un matériel dès sa conception.
Un cas plus frappant est venu illustrer les défis auxquels est confronté le groupe SNCF. En juillet 2025, Masteris, qui gère l’activité de maintenance et qui orchestre le fonctionnement de ses technicentres, a perdu un marché de rénovation de rames TER appartenant à Pays de la Loire au profit de ACC-M, un acteur indépendant basé à Clermont-Ferrand. L’appel d’offres avait été organisé par la filiale locale de la SNCF qui exploite plusieurs lignes entre Nantes et la côte atlantique. L’écart de prix entre les deux offres a joué.
Dans ce paysage en plein chamboulement, la SNCF bénéficie cependant d’un avantage certain grâce à ses installations industrielles. La grande opération Opter, négocié en gré à gré avec 12 régions a permis à l’entreprise d’engager des investissements en se concentrant sur deux technicentres importants. Opter consiste à rénover 40 % du matériel roulant TER à raison de 50 rames en 2024 à 150 par an à partir de 2025 jusqu’en 2029. Ce marché qui représente un engagement de 2,3 Md€ garantira « 9 millions d’heures de travail et jusqu’à 55 rames immobilisées simultanément dans nos technicentres industriels (TI) », souligne la SNCF. « Grâce à ces contrats géants qui lui auront permis d’amortir ses outils, elle sera certainement en mesure de proposer des prix compétitifs », conjecture un observateur.
Sur le marché du fret, ouvert depuis longtemps à la concurrence, les Roscos ont eu le temps de se structurer en intégrant la maintenance dans leurs contrats de leasing. Un acteur majeur comme Akiem, axé sur la locomotive, vise aussi le marché des trains régionaux. « Le potentiel de développement est très élevé en France », assure son dirigeant Fabien Rochefort.