La décarbonation du transport aérien : vingt-cinq ans pour la mener à bien

©Jean-Claude Pennec - M. Wachenheim (à gauche) lors de la conférence de presse organisée par l’AAE, le 15 mai 2024.

La décarbonation du transport aérien ? « Elle passera par une approche globale à 360° », insiste Michel Wachenheim, président de l’Académie de l’air et de l’espace, et par la mise en œuvre d’une « stratégie générale d’accélération ». Une partie d’autant plus complexe qu’elle se joue sur à peine vingt-cinq ans et à la condition de parvenir à mobiliser de multiples acteurs, du passager aux industriels, des compagnies aux aéroports, des énergéticiens aux arbitres politiques. Le nouveau rapport que vient de publier l’Académie enfonce un peu plus le clou sur les étapes à franchir, sur la mobilisation globale nécessaire et surtout, sur les investissements à engager d’urgence. À ceux qui auraient tendance à douter, Michel Wachenheim préfère rappeler à propos de ce temps imparti : « Certes, ça paraît difficile, mais il faut regarder où l’on en était il y a trente ans. »

Progrès technologiques : presque le plus simple

Les progrès technologiques qui sont attendus dans les vingt-cinq prochaines années sont connus : d’abord, l’accélération du renouvellement des flottes et l’apparition en 2035 de nouvelles générations d’avions, permettant deux gains de consommation successifs de 30 % et de 25 %. Ainsi il y a quelques jours, un Airbus A350 a réalisé un vol avec 100 % de SAF [SAF ou CAD*, voir ci-dessous]. Parmi les avantages, une réduction significative des émissions de particules de suie et de la formation de cristaux de glace dans les traînées de condensation par rapport au Jet-A1. Les améliorations portées à la navigation aérienne devraient, quant à elles, permettre des gains compris entre 5 et 10 % de la consommation et des émissions. Depuis plusieurs années, par exemple Aéroports de Paris a adopté le principe des « descentes continues » (sans paliers), synonymes, in fine, d’économies de temps et de carburant.

2035 : parvenir à 1,8 litre/100 km par passager

Ensuite, la perspective, avec les nouveaux moteurs, d’arriver vers 2035 à 1,8 litre/100 km par passager, au lieu de 2 à 2,5 litres aujourd’hui pour les avions récents. Sachant que sur les 23 000 avions utilisés quotidiennement environ 6 500 d’entre eux sont récents (post-2017) et que les 17 000 autres vont suivre à plus ou moins long terme. On évoque même la possibilité de faire voler des ATR 42 ou 72 qui consomme 1 litre par passager. Ajouter à cela l’arrivée de nouveaux constructeurs à même de mettre à mal le duopole Airbus-Boeing, tel le chinois Comac. Ou l’arrivée de solutions « en rupture », dont des court-courriers électriques.

Finalement, pour l’Académie, on peut espérer à terme à une diminution de consommation de 40 %, même s’il faudra attendre une dizaine d’années après 2050 pour que la génération d’aéronefs de 2017 ait entièrement disparu de la flotte mondiale.

70 % de SAF en 2050

D’où l’enjeu de la généralisation des carburants durables au lieu du kérosène actuel. Pour la seule Europe, le chemin est clair : le règlement ReFuelEU adopté par l’UE imposera d’injecter 2 % de SAF en 2025, 20 % en 2030 et 70 % en 2050 (à raison d’un coût de 2 à 3 € le litre, car plus chers à produire). Pour atteindre les objectifs de 2050, le secteur aérien européen aura donc besoin de 40 millions de tonnes par an, dont 28 millions de tonnes de SAF, que les aéroports européens devront donc être en mesure de proposer aux compagnies.

Or, rappelle l’Académie, la quantité de SAF issus de sources bio en Europe est et sera limitée à 20 % de ses besoins. Cela entraîne un recours obligatoire à des e-fuels nécessitant beaucoup d’électricité décarbonée et implique une industrialisation massive dédiée, laquelle à ce jour n’a pas encore commencé.

D’où la recommandation de l’Académie de l’air et de l’espace de créer une filière industrielle européenne de production de SAF. « L’investissement européen à réaliser dans la production d’énergie d’ici 2050 est gigantesque : 250 Md€ par an d’ici 2050 dont environ 10 % pour l’aviation », explique Xavier Bouis, président de la Commission C2E de l’Académie et co-auteur du rapport. Soit environ 650 TWh par an, quasiment la consommation électrique totale actuelle de pays comme l’Allemagne ou la France.

Hors de portée ? « Un plan Marshall par an »

« C’est un changement, mais c’est ce qui s’est fait à l’époque du choc pétrolier », rétorque Michel Wachenheim. On a construit 50 réacteurs nucléaires. C’est un effort du même genre qu’il faut produire. Ce qui signifie pour la France un doublement de la production électrique […] Un plan Marshall par an. » Au vu de l’enjeu, c’est donc un programme d’investissement sans égal depuis la reconstruction d’après-guerre qui est devant nous, alerte l’Académie qui estime qu’un tel investissement ne peut être le seul fait des États.

Une autre façon de voler ?

Les deux autres pistes citées par l’Académie portent d’abord sur une autre façon de voler : en réduisant la vitesse des appareils et la longueur des étapes, ce qui amènerait à prévoir une ou deux escales pour les vols long-courriers permettant jusqu’à un quart de la consommation en moins. Par ailleurs, l’idée de plafonner les mouvements d’avions (via des taxes, des règlements, des interdictions et la hausse du prix des billets) est régulièrement évoquée. Elle se heurte toutefois à plusieurs obstacles. Premièrement, au fait que de plus en plus de populations et de continents accéderont à leur tour, dans les prochaines décennies, au voyage en avion. Secondement, fait que les tentatives de convaincre le public de se détourner de l’avion (dont l’aviation bashing) pour des raisons environnementales ne parviennent pas à s’inscrire dans la durée. Plus probante est la découverte par le monde économique, notamment au moment de l’épidémie de la Covid-19 en 2020, de l’efficacité des téléconférences, gage d’économies de temps, d’énergie et de coûts. Avec raison, l’Académie estime que la sobriété aérienne, dont celle portant sur le « surtourisme », est « un cadre nouveau, un environnement sociopolitique dont il faut accepter d’anticiper les contours ».

* CAD pour « carburants d’aviation durables » ou, en anglais, SAF pour « Sustainable Aviation Fuels ».

La réussite de la mise en place d’un tel dispositif dépend enfin et surtout des choix et donc de la détermination des pouvoirs publics à le mener à bien, insiste l’Académie : qu’il s’agisse d’une stratégie lisible et durable proposée aux investisseurs industriels, des futurs arbitrages pour l’accès à la biomasse ou aux inévitables importations de carburant « durable », des incitations permettant le renouvellement des flottes ou enfin de la mise en place de mesures réglementaires à l’échelle mondiale plutôt que nationale ou européenne.

Jean-Claude Pennec

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