Et si la perte effective de son monopole dans ses activités conventionnées TER et TET constituait le plus puissant levier de transformation de l’entreprise ferroviaire SNCF ? Alors que le groupe ferroviaire public a fait l’objet en vingt ans d’une série de lois touchant à son organisation – la dernière étant celle de 2018 ayant transformé l’EPIC en SA –, le PDG de SNCF Voyageurs Christophe Fanichet accrédite cette thèse. « En 2030, lorsque les régions auront attribué par appel d’offres 80 % de leurs lignes TER, SNCF Voyageurs n’aura plus rien à voir avec la SNCF historique, ce sera une entreprise profondément décentralisée, organisée à l’instar de Keolis avec des filiales locales et des services mutualisés », avance-t-il, et ce « même si la SNCF conserve une grande majorité des lots ».
C’est d’ailleurs le cas puisque « nous avons déjà remporté trois lots sur cinq représentant 80 % des trains-kilomètres attribués à ce jour », souligne Jean-Aimé Mougenot, le directeur TER délégué. Seules la DSP de Marseille/Nice attribuée à Transdev qui fera ses débuts en juin 2025 et la réouverture en 2027 de Nancy/Contrexéville remportée par le même opérateur lui ont échappé. Les 3 marchés gagnés par la SNCF ont déjà pris effet fin 2024 (étoile d’Amiens, tram-train Sud-Loire, étoile de Nice) et le rythme d’ouverture s’accélère. 5 lots doivent être attribués cette année : lot « Bourgogne Ouest nivernais » en Bourgogne-Franche-Comté, lot 3 en PACA, deux lots transfrontaliers et lot « Bruche-Piémont-Vosges » en Grand Est.
Ce régime de mise en concurrence est général. Sur la niche des trains d’équilibre du territoire, c’est également par appel d’offres qu’elle a dû batailler (en l’occurrence face à la Renfe et à Le Train) pour conserver les lignes de TET Nantes/Lyon et Nantes/Bordeaux attribuées le 28 janvier. Ce n’est pas terminé, sur le front du Transilien, son plus important marché, l’entreprise voit également son monopole disparaître. En mai, elle saura si elle conserve, face à la RATP qui s’est portée candidate, l’exploitation de la ligne L.
Île-de-France Mobilités (IDFM) désignera le lauréat de la J et de la R en 2026. En 2032, 90 % du réseau sera attribué. « Le rythme des appels d’offres constitue un facteur important de la transformation que nous menons », ajoute Christophe Fanichet. Car, le nouveau régime qui impose de fait l’exploitation des DSP par filiale locale force chaque grande activité à détourer ses effectifs et à optimiser l’organisation de ses services support. Selon le syndicat Sud-Rail, le détourage de la ligne L porte en lui une réorganisation de la « région » de Paris Saint-Lazare et une contraction de ses effectifs dans l’encadrement intermédiaire. Difficile pour l’instant d’estimer à périmètre constant quels seront les effets de l’ouverture à la concurrence sur l’évolution des effectifs des deux grandes activités (TER avec ses 29 000 salariés, Transilien avec ses 14 000 salariés), car la recherche de gain de productivité n’est pas encore pleinement enclenchée. La direction de SNCF Voyageurs travaille à la constitution « d’un pack des délégations de service public » incluant différents métiers (exploitation, maintenance du matériel). « SNCF Voyageurs doit industrialiser ses process, regrouper ses compétences, celles de TER avec celles de Transilien, avec l’objectif majeur de gagner en performance », conclut son PDG.
« Nous devons remporter un certain pourcentage d’appel d’offres pour que TER et Transilien continuent de contribuer au cash-flow de la SNCF », commente le PDG de la SNCF Jean-Pierre Farandou. Lors de la publication des bons résultats 2024 (43,4 Md€ de CA ;7 Md€ d’EBITDA ; 1,6 Md€ de résultats nets) il a mis l’accent cinq ans après la réforme sur l’équilibre financier trouvé par le groupe SNCF de sorte que Geodis, TGV, les activités ferroviaires conventionnées, Keolis dans une moindre mesure permettent de dégager des marges pour financer les investissements du groupe et apportent une contribution à ceux de SNCF Réseau.