Mobilité militaire, l’oubliée de la conférence Ambition France Transports ?
©© Cour des comptes européenne
En cas d’engagement majeur à l’est de l’Europe, la France sera l’une des bases arrière de l’OTAN, un territoire de transit pour les troupes, munitions, blindés et équipements. Pour remplir cette mission, présentée par Fabrice Feola le 3 avril lors de la Semaine de l’innovation du transport et de la logistique (SITL), la France et les pays européens doivent disposer de capacités et infrastructures adaptées. Leurs missions, précisées par le commandant du Centre du soutien des opérations et des acheminements du ministère des Armées (CSOA), seront « d’acheminer troupes et matériels sur le front, et d’évacuer blessés et populations ». Le haut gradé souligne que les infrastructures et les capacités de transport devront assurer dans le même temps leurs missions de mobilité civile pour le transport de voyageurs et de fret.
Passer à l’échelle
Dans ce scénario, le réseau ferré est considéré comme « vital ». Le CSOA exhorte ainsi la France et l’Union européenne à se préparer « à un choc capacitaire et à simplifier les procédures ferroviaires transfrontalières ». Pour son commandant, les délais pour obtenir les sillons et les autorisations de circuler doivent être raccourcis au maximum. À ses yeux, le premier enjeu en cas de conflit sera « le passage à l’échelle » pour acheminer tous les flux civils et militaires.
Fabrice Feola rappelle aussi qu’en cas de conflit majeur, « la capacité de projection de l’armée s’appuie et dépend de l’externalisation logistique auprès des sociétés privées ». La gestion des crises et opérations telles que le « cyclone Chido à Mayotte, les évacuations à Kaboul, au Mali, au Niger et au Tchad, ou bien la crise calédonienne il y a un an » a démontré, selon lui, la pertinence de cette collaboration. Elle a combiné les moyens aériens, maritimes et terrestres, militaires avec des capacités de transport privées affrétées par le CSOA, lequel possède « l’expertise pour préempter ou réserver les capacités adaptées face aux crises et opérations » en cours et à venir.
Convergences civiles et militaires
L’esprit « patriotique » des sociétés privées ne suffira pas à relever ces défis, selon Fabrice Feola. « Il faut dès maintenant réunir les conditions pour que ces capacités logistiques et industrielles existent et soient mobilisables rapidement. » En réponse à cet appel, Anne-Marie Idrac estime que le secteur privé dispose de capacités suffisantes comme « l’ont prouvé les Jeux olympiques Paris 2024 et la pandémie Covid ». Invitée au débat, la présidente de France Logistique estime que les attentes militaires croisent celles du secteur privé dans plusieurs domaines : « Simplifier des procédures dans l’immobilier logistique, pour augmenter les capacités de stockage, et le rail transfrontalier, renforcer les infrastructures portuaires et ferroviaires, accélérer la mise en œuvre du réseau transeuropéen des transports (RTE-T), soutenir le pavillon routier français pour préserver des capacités de transport souveraines… »
La nouvelle plateforme rail-route mixte, militaire et civile, inaugurée le 10 mars dernier sur le port de La Rochelle, semble illustrer la préparation de la France à jouer le rôle de plateforme de transit de l’OTAN. Elle est prévue pour un usage privilégié par le ministère des Armées, mais non exclusif, indique le grand port maritime rochelais. Le chantier de transbordement est équipé de quais conçus pour le chargement de chars Leclerc sur wagons plats et de terre-pleins supportant des charges jusqu’à 100 tonnes. L’Europe a financé 50 % des 3,8 M€ investis dans le projet via le mécanisme d’interconnexion en Europe (MIE). L’autre moitié a été financée par le port et la communauté d’agglomération locale dans le cadre du contrat de plan État-région 2023-2027.
Or l’hypothèse d’un conflit à l’est de l’Europe suppose la traversée de plusieurs États membres. Un premier plan d’action sur la mobilité militaire a été publié par l’Union européenne en 2018. Il a fallu attendre novembre 2022 toutefois, et la seconde agression menée par la Russie contre l’Ukraine, pour mobiliser des fonds spécifiques dans ce cadre. Ils se sont élevés à 1,69 Md€ relevant du MIE au titre du cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027. Un audit de la Cour des comptes européenne, dont les conclusions ont été présentées le 2 février 2025, alerte sur l’urgence d’organiser et de revoir les fonds alloués à la mobilité militaire en Europe. Ses recommandations insistent sur la mise en œuvre d’une gouvernance coordonnée, un meilleur suivi des plans d’action, une plus grande ouverture du MIE aux projets d’infrastructures à double usage (civil et militaire) ainsi que de possibles financements dédiés à la mobilité militaire.
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Le 7 avril 2022, le Forum Vies Mobiles a publié : « La Ville du quart d’heure : voie à suivre ou mirage idéologique ? » Carlos Moreno, le diffuseur de la ville du quart d’heure, et Pierre Veltz, ingénieur, économiste et urbaniste, qui en remet en cause les vertus, répondaient aux questions introductrices de Vincent Kaufmann. J’invite nos lecteurs à qui cette publication aurait échappé à lire les deux contributions qui posent des questions importantes pour le pilotage des évolutions économiques, écologiques, sociales et territoriales auxquelles notre pays doit faire face. Dans une France en archipel sur le plan territorial et sociologique, que les commentateurs du dernier scrutin s’accordent à déclarer fracturée sur le plan politique, il sera utile d’explorer rationnellement les points de la controverse pour trouver des solutions opératoires et acceptées. La disjonction entre la ville des électeurs et la ville active des travailleurs de la première ligne et des jeunes cadres et employés du secteur productif explique pourquoi la maire de Paris (à l’instar des maires socialistes et verts des grandes villes) a obtenu un score très élevé aux élections municipales et assez modeste au niveau national. Ce n’est pas uniquement l’effet d’un vote utile. Un entrepreneur politique ne présente plus une offre collective, mais tente d’agréger les différentes demandes de ses « clients », face à des attentes aussi divergentes et sans projets collectifs, ce n’est pas facile. Avec le « package de la ville du quart d’heure », on gagne les municipales, mais on n’a pas de projets collectifs pour la Nation.
Lors des scrutins locaux, les électeurs des grandes villes choisissent ce qui leur semble être le meilleur programme pour gérer leur cocon urbain habillé par des valeurs correspondant à leur intérêt immédiat. Au niveau national, les citoyens comprennent assez clairement qu’il faut que la machine à produire du pouvoir d’achat continue de fonctionner et estiment, majoritairement, qu’il n’est pas tout à fait sérieux d’affirmer que les difficultés d’un pays où les dépenses publiques pèsent structurellement 55 % du PIB résultent au premier chef des effets d’un néolibéralisme effréné.La fin de l’opposition entre la droite et la gauche historiques (au sens ancien : les rentes vs l’égalité des chances, le partage de la valeur ajoutée entre le travail et le capital, la reproduction des conditions, surtout à travers l’école et l’héritage immobilier1 vs le mérite, l’émancipation par la culture et le travail vs l’aliénation du travailleur machine, etc.) n’est pas le fruit d’une recomposition politique, mais la traduction idéologique d’une évolution fondamentale. Jusqu’à la fin des années 1980, en France, on pouvait encore dire « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain » sans être contredit par les faits.
Les forts gains de productivité du secteur productif généraient un surplus suffisant pour financer l’extension des services publics et de l’État providence. Les surplus d’aujourd’hui servent une augmentation de la valeur des actifs qui concentre le patrimoine et alimentent surtout les recettes fiscales. Il s’en suit une perte de sens et même une inversion des valeurs. La valeur travail, le mérite, l’ouverture sont revendiqués par le bloc élitaire et le repli identitaire, nationaliste ou vers des petites communautés localistes et des tribus sont devenues des valeurs de la gauche populaire qu’elle soit classée – à tort pour la majorité des électeurs – d’extrême droite ou d’extrême gauche. Sans un projet collectif, il sera difficile de concilier des aspirations démocratiques si différentes selon les échelles. Il s’agit d’un défi majeur pour les politiques d’aménagement des territoires et de transport dans un contexte de retour de l’inflation et de nécessaire maîtrise de la consommation d’énergie. L’équipe de TI&M – économie, politique, société – prépare un dossier dans les prochains mois pour apporter sa contribution au débat.
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