Métrolor, ancêtre toujours dynamique, sera-t-il le noyau du futur SERM du Sillon lorrain ?
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La relation interville à offre dense Nancy/Metz/Thionville dite Métrolor est née au début de l’année 1970 et elle apparaît rétrospectivement comme le véritable ancêtre des offres de type RER hors de l’Île-de-France. Cette liaison pionnière a été prolongée à Luxembourg puis elle s’est ensuite enrichie d’un vaste ensemble de liaisons annexes avant de devenir le cœur du TER lorrain puis l’un des pôles de celui du Grand Est. Avant de devenir le noyau d’un SERM du Sillon lorrain ?
Résultat d’une politique volontariste d’aménagement du territoire ferroviaire¹, la naissance de Métrolor il y a plus de cinquante-cinq ans apparaissait alors comme une exception en matière d’offre ferroviaire conventionnée, qui était inexistante dans la « boîte à outils » d’un État qui ne voyait guère l’importance de services de trains de banlieue, hors de l’Île-de-France. Toutefois, la particularité de la structure territoriale du Sillon mosellan avec ses trois zones densément peuplées² marquées par une importance des migrations quotidiennes alternantes domicile-travail/études justifient déjà la mise en place d’une offre de transport adaptée à ce type d’urbanisation fortement multipolaire.
Dans le cadre des premiers pas de la politique de décentralisation impulsée, centralement il est vrai, par la création de la DATAR et de ses « bras armés » dont l’OREAM³, l’idée d’une bimétropole lorraine Metz/Nancy nécessitait sur le terrain de donner corps et d’organiser ce qui n’était alors qu’une virtualité administrative. De plus, en raison de la non-existence des régions en tant qu’entités politiques et des réticences originelles du département de Meurthe-et-Moselle, l’État seul s’engage alors en contractant avec la SNCF⁴.
Le 2 janvier 1970, la nouvelle offre ferroviaire – baptisée d’emblée Métrolor (contraction de métropole et de Lorraine) – se met en place avec 14 allers-retours journaliers cadencés à l’heure entre Thionville et Nancy. Entre 7 heures et 20 heures avec quatre arrêts intermédiaires, ce qui correspond à une augmentation de 56 % de l’offre Metz/Nancy et de 77 % de celle entre Thionville et Metz, dans la mesure où l’essentiel de l’ancienne offre – non cadencée – subsiste. Une offre qui était déjà assez dense, mais qui souffrait de l’existence de nombreuses
ruptures de charge. Dès la première année, la fréquentation dépasse de 30 % les prévisions les plus optimistes avec 1,4 million de voyageurs⁵. Le service à l’origine créé pour les jours ouvrables est maintenu les dimanches et jours fériés et un quinzième aller-retour est mis en place ainsi qu’une liaison en correspondance de Nancy à Lunéville.
Plus de deux décennies après alors que cette offre est entrée dans les habitudes des usagers, la région Lorraine réutilise le vocable Métrolor pour ses services TER, quitte à le décliner pour des relations annexes. Tant l’empreinte pionnière de l’expérience de 1970 reste forte dans la mémoire régionale des transports.
Aujourd’hui, la matrice géographique historique se retrouve au centre d’un nouveau débat aux dimensions d’une « Europe de proximité ». Celle d’un SERM Lorraine/Luxembourg dont le nom resterait à inventer. Quoique celui de Métrolor semble être tellement prémonitoire tant la géographie des déplacements implique celle des réseaux structurants⁶.
Aujourd’hui, ils devraient se décliner à la fois sur l’axe majeur Luxembourg/Metz/Nancy qui, tel un RER, serait desservi aux six à sept minutes en heures de pointe tout en s’enrichissant des apports de trafics des axes annexes, services urbains et routiers inclus, et des équipements-relais liés aux principes du SERM.
Côté ferroviaire, si les coûts essentiels restent liés à l’accroissement des capacités de l’axe principal, d’autres lignes sont ciblées. Pour se limiter, côté France, à celles liées directement au Sillon mosellan, il s’agirait, outre de créer de nouvelles haltes urbaines sur les lignes existantes, de créer une nouvelle offre, en rabattement sur un axe ouest vers Longuyon (partie régionale de la transversale nord-est Dunkerque/Valenciennes/Strasbourg), de relancer la ligne Bouzonville/Thionville comme celle vers Trèves en Allemagne, un projet annexe inclus dans l’idée, en cours de mise en place, d’un ambitieux système de TER transfrontalier.
Côté des transports urbains, la diversité des solutions déjà existantes abonde d’elle-même les flux de voyageurs vers l’axe structurant du SERM. Qu’il s’agisse du tramway urbain et périurbain luxembourgeois, du BHNS messin et du trolleybus nancéien auquel s’ajoutent les projets ferroviaires périurbains de la même agglomération.
Une diversité tout aussi foisonnante s’invite du côté des transports routiers collectifs avec des projets d’autocars interurbains express rabattus vers les gares et qui bénéficieraient de sites propres ou, au moins, de voies protégées, y compris aménagés sur les autoroutes ou sur les routes express. Qui seraient aussi équipées de divers itinéraires de covoiturage plus ou moins dédiés. Autant de voie aboutissant à des pôles d’échanges ad hoc équipés de parkings facilitant le rabattement sur l’axe majeur.
Reste un sujet qui demeure, celui de la connexion avec la LGV Est et que le projet de SERM évite d’aborder tant il est porteur de désaccords. Une sorte de raté d’aménagement du territoire, un véritable non-dit politique qui pèse depuis plus de deux décennies sur la Lorraine. Avec la création en 2007, aides publiques à l’appui, d’une gare lorraine TGV située à Louvigny au milieu de nulle part et loin de partout destiné à desservir un aéroport dit prometteur, et dont le trafic peine à atteindre les 1 500 voyageurs/jour.
Alors que moins de vingt kilomètres en amont, à Vandières, la LGV croise l’axe Nancy/Metz. Là où l’idée d’une gare à deux niveaux semble ajouter un atout au SERM du Sillon lorrain. Une gare somme toute comparable techniquement à celle qui assure les correspondances entre la LGV Méditerranée et la ligne classique Valence/Grenoble, mais avec des potentiels de trafic infiniment plus élevés.
Notes
1. La Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR) créée en 1963 et placée sous l’autorité du Premier ministre avait alors identifié huit grandes agglomérations qui pouvaient prétendre à la création d’un système de transport ferroviaire de banlieue. Hormis l’axe du « Sillon mosellan », deux autres d’entre elles se fondaient sur l’idée d’une offre plus large de type interville de conurbation : Lyon/Saint-Étienne (le futur système « Stélyrail ») et Nantes/Saint-Nazaire.
2. Les bassins de Thionville, Metz et Nancy auxquels s’ajoutent alors les zones minières et sidérurgiques regroupaient alors plus de 1,2 million d’habitants.
3. Qui elle-même réduit au sud le périmètre d’origine du projet Thionville/Metz/Nancy/Lunéville en limitant la nouvelle offre à Nancy faute, officiellement, de sillons disponibles à une époque où le trafic fret était à son maximum.
4. Cependant, si 43 % des voyageurs sont de nouveaux utilisateurs, la part captée à la voiture est alors faible à une époque où se met en place un réseau autoroutier performant. Notamment, ici, la jeune A31 ouverte par tronçons à partir de 1963
5. Au fil de la modernisation et de l’électrification des axes Sud-Lorraine, de l’arrivée du TGV Est à l’appui, on a vu se créer une offre « Métro-Vosges » incluant les lignes vers Épinal et Remiremont. Moins forte et pas véritablement cadencée, il est vrai.
6. Toutefois, du côté français, l’évolution démographique, celle de l’emploi et celle de la création de richesse ne sont plus les mêmes en 2025 et la coopération métropolitaine au sein du Sillon lorrain n’a pas été portée de manière aussi forte par les élus et le monde économique.
Michel Chlastacz
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Le 7 avril 2022, le Forum Vies Mobiles a publié : « La Ville du quart d’heure : voie à suivre ou mirage idéologique ? » Carlos Moreno, le diffuseur de la ville du quart d’heure, et Pierre Veltz, ingénieur, économiste et urbaniste, qui en remet en cause les vertus, répondaient aux questions introductrices de Vincent Kaufmann. J’invite nos lecteurs à qui cette publication aurait échappé à lire les deux contributions qui posent des questions importantes pour le pilotage des évolutions économiques, écologiques, sociales et territoriales auxquelles notre pays doit faire face. Dans une France en archipel sur le plan territorial et sociologique, que les commentateurs du dernier scrutin s’accordent à déclarer fracturée sur le plan politique, il sera utile d’explorer rationnellement les points de la controverse pour trouver des solutions opératoires et acceptées. La disjonction entre la ville des électeurs et la ville active des travailleurs de la première ligne et des jeunes cadres et employés du secteur productif explique pourquoi la maire de Paris (à l’instar des maires socialistes et verts des grandes villes) a obtenu un score très élevé aux élections municipales et assez modeste au niveau national. Ce n’est pas uniquement l’effet d’un vote utile. Un entrepreneur politique ne présente plus une offre collective, mais tente d’agréger les différentes demandes de ses « clients », face à des attentes aussi divergentes et sans projets collectifs, ce n’est pas facile. Avec le « package de la ville du quart d’heure », on gagne les municipales, mais on n’a pas de projets collectifs pour la Nation.
Lors des scrutins locaux, les électeurs des grandes villes choisissent ce qui leur semble être le meilleur programme pour gérer leur cocon urbain habillé par des valeurs correspondant à leur intérêt immédiat. Au niveau national, les citoyens comprennent assez clairement qu’il faut que la machine à produire du pouvoir d’achat continue de fonctionner et estiment, majoritairement, qu’il n’est pas tout à fait sérieux d’affirmer que les difficultés d’un pays où les dépenses publiques pèsent structurellement 55 % du PIB résultent au premier chef des effets d’un néolibéralisme effréné.La fin de l’opposition entre la droite et la gauche historiques (au sens ancien : les rentes vs l’égalité des chances, le partage de la valeur ajoutée entre le travail et le capital, la reproduction des conditions, surtout à travers l’école et l’héritage immobilier1 vs le mérite, l’émancipation par la culture et le travail vs l’aliénation du travailleur machine, etc.) n’est pas le fruit d’une recomposition politique, mais la traduction idéologique d’une évolution fondamentale. Jusqu’à la fin des années 1980, en France, on pouvait encore dire « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain » sans être contredit par les faits.
Les forts gains de productivité du secteur productif généraient un surplus suffisant pour financer l’extension des services publics et de l’État providence. Les surplus d’aujourd’hui servent une augmentation de la valeur des actifs qui concentre le patrimoine et alimentent surtout les recettes fiscales. Il s’en suit une perte de sens et même une inversion des valeurs. La valeur travail, le mérite, l’ouverture sont revendiqués par le bloc élitaire et le repli identitaire, nationaliste ou vers des petites communautés localistes et des tribus sont devenues des valeurs de la gauche populaire qu’elle soit classée – à tort pour la majorité des électeurs – d’extrême droite ou d’extrême gauche. Sans un projet collectif, il sera difficile de concilier des aspirations démocratiques si différentes selon les échelles. Il s’agit d’un défi majeur pour les politiques d’aménagement des territoires et de transport dans un contexte de retour de l’inflation et de nécessaire maîtrise de la consommation d’énergie. L’équipe de TI&M – économie, politique, société – prépare un dossier dans les prochains mois pour apporter sa contribution au débat.
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