Le réseau express métropolitain de Strasbourg serait-il le laboratoire des futurs SERM ?
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Après un démarrage difficile, le réseau express métropolitain de Strasbourg (REM) atteint désormais sa vitesse de croisière, qu’il s’agisse de ses objectifs d’offre comme de fréquentation. Les prochaines étapes viseront l’extension géographique à l’ensemble de l’étoile ferroviaire strasbourgeoise. Une évolution suivie avec intérêt par les agglomérations qui ont l’ambition de se doter de services express régionaux métropolitains (SERM) dans un proche avenir.
Rétrospectivement, la métropole strasbourgeoise peut avoir l’impression « d’essuyer les plâtres » en matière de SERM, puisqu’en décembre 2022 la précoce mise en service du REM s’est soldée par un démarrage difficile avec des cadences non respectées et des retards ou suppressions de trains. Des ratés liés au « manque d’anticipation » [de l’exploitant SNCF, NDLR], selon Clément Beaune, alors ministre des Transports. Aussi, l’objectif ambitieux de 1 000 trains hebdomadaires supplémentaires en première phase du projet a été ramené à 650 trains.
En janvier 2024, la région Grand Est, l’Eurométropole de Strasbourg et la SNCF ont estimé que « le REM strasbourgeois a atteint sa vitesse de croisière ». Avec un objectif d’offre atteint, l’augmentation de 15 % de la fréquentation et un taux de ponctualité de 82 % égal à la moyenne régionale, ce qui n’est pas évident pour les services denses de type banlieue.
Aujourd’hui, les critiques subsistantes des associations d’usagers ne concernent presque plus le REM, mais ses « dommages collatéraux ». Les lignes du nord de Strasbourg, situées à cette étape du projet hors du REM, sont jugées « délaissées » en raison de la faible évolution de leur offre. Il s’agit ici principalement des axes Strasbourg/Haguenau/Wissembourg et Strasbourg/Lauterbourg¹.
Le projet de REM, voté en mai 2021 par l’Eurométropole de Strasbourg visait, côté ferroviaire², la création d’un réseau métropolitain strasbourgeois diamétralisé géographiquement grâce à la création de liaisons « passe-Strasbourg » et bénéficiant d’une offre cadencée au quart d’heure en pointes et à la demi-heure en heures creuses avec une grande amplitude horaire (5 h 30 – 22 h 30). S’ajoutait la mise en place d’une tarification intégrée associant tous les modes de transport de la métropole.
Côté infrastructures, le REM bénéficiait essentiellement du quadruplement de la section Strasbourg/Vendenheim (9 km) de l’axe Strasbourg/Paris (TGV et trains classiques). Achevée début de 2022, cette opération complexe et coûteuse a permis la séparation physique des trafics TGV et des grandes lignes et ceux des TER à l’entrée ferroviaire nord de Strasbourg fortement saturée³.
La première phase du REM strasbourgeois consiste dans la création de trois lignes qui se développent sur plus de 140 km de dessertes. Soit 130 km d’infrastructures utilisées, compte tenu des troncs communs.
Une ligne-tronc nord-sud. Véritable colonne vertébrale du réseau, l’itinéraire électrifié « passe-Strasbourg » Saverne/Strasbourg/Sélestat (87 km et 20 stations) est desservi au quart d’heure aux heures de pointe et à la demi-heure aux heures creuses.
La ligne Strasbourg/Haguenau (34 km et 9 stations). Non électrifiée, elle est desservie dans les mêmes conditions que la première.
La ligne Strasbourg/Molsheim (19 km et 8 stations). Non électrifiée, elle est desservie aux 12 minutes en heures de pointe et aux trente minutes ou à l’heure en heures (très) creuses. Elle dessert l’aéroport de Strasbourg-Entzheim avec une gare dédiée.
La poursuite de cette première phase verra, outre la création de points d’arrêt supplémentaires, l’intensification de l’offre pour atteindre les 1 000 trains hebdomadaires supplémentaires promis. Sans « dépouiller » les autres lignes du complexe ferroviaire strasbourgeois grâce à l’apport de nouveaux matériels roulants. Les phases d’évolution du réseau à l’horizon 2030 intégreraient au REM l’ensemble des lignes du nœud ferroviaire strasbourgeois.
La métropole alsacienne ne s’affirme pas comme le laboratoire des futurs SERM, mais cette première expérience, à l’instar de celle du RER valdo-genevois, est riche d’enseignements dans trois domaines [hors équation financière].
L’infrastructure. La création d’une offre de transport dense de type banlieue ou RER dans un nœud ferroviaire ®
d’importance ne peut se concevoir sans disposer de réserves de capacité nécessitant parfois la création de voies supplémentaires⁴ sur les sections appelées à devenir les plus chargées.
L’exploitation. La diamétralisation de l’offre de transport qui permet une forte diminution des temps d’occupation des voies en gare, mais elle ne pourrait s’appliquer aux gares terminus en cul-de-sac comme Marseille-Saint-Charles⁵, Lille-Flandres, Tours-Ville et Orléans-Ville.
L’organisation. La préparation minutieuse de l’offre et sa montée en puissance graduelle est préférable à son lancement massif. Ce qu’a démontré l’expérience strasbourgeoise.
1. La seconde ligne où la SNCF évoquait l’état médiocre de la voie pour ne pas intensifier l’offre a quand même été utilisée durant l’été 2024 comme itinéraire de détournement des trains de fret de la Deutsche Bahn durant les travaux de l’axe Karlsruhe/Offenburg.
2. S’ajoute une offre routière densifiée de cars express, de cars en rabattement sur les gares du REM et la création de lignes de co-voiturage.
3. Une ligne de ceinture de détournement située à l’ouest de la ville permet au transit fret d’éviter le passage dans Strasbourg.
4. L’installation de l’ERTMS pourrait, dans certains, cas repousser cette échéance, voire améliorer considérablement le bilan carbone en ACV et le bilan financier et socio-économique.
5. Une gare souterraine marseillaise associant des voies grandes lignes et SERM est prévue dans le projet de ligne Nouvelle Provence-Côte d’Azur.
Michel Chlastacz
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Le 7 avril 2022, le Forum Vies Mobiles a publié : « La Ville du quart d’heure : voie à suivre ou mirage idéologique ? » Carlos Moreno, le diffuseur de la ville du quart d’heure, et Pierre Veltz, ingénieur, économiste et urbaniste, qui en remet en cause les vertus, répondaient aux questions introductrices de Vincent Kaufmann. J’invite nos lecteurs à qui cette publication aurait échappé à lire les deux contributions qui posent des questions importantes pour le pilotage des évolutions économiques, écologiques, sociales et territoriales auxquelles notre pays doit faire face. Dans une France en archipel sur le plan territorial et sociologique, que les commentateurs du dernier scrutin s’accordent à déclarer fracturée sur le plan politique, il sera utile d’explorer rationnellement les points de la controverse pour trouver des solutions opératoires et acceptées. La disjonction entre la ville des électeurs et la ville active des travailleurs de la première ligne et des jeunes cadres et employés du secteur productif explique pourquoi la maire de Paris (à l’instar des maires socialistes et verts des grandes villes) a obtenu un score très élevé aux élections municipales et assez modeste au niveau national. Ce n’est pas uniquement l’effet d’un vote utile. Un entrepreneur politique ne présente plus une offre collective, mais tente d’agréger les différentes demandes de ses « clients », face à des attentes aussi divergentes et sans projets collectifs, ce n’est pas facile. Avec le « package de la ville du quart d’heure », on gagne les municipales, mais on n’a pas de projets collectifs pour la Nation.
Lors des scrutins locaux, les électeurs des grandes villes choisissent ce qui leur semble être le meilleur programme pour gérer leur cocon urbain habillé par des valeurs correspondant à leur intérêt immédiat. Au niveau national, les citoyens comprennent assez clairement qu’il faut que la machine à produire du pouvoir d’achat continue de fonctionner et estiment, majoritairement, qu’il n’est pas tout à fait sérieux d’affirmer que les difficultés d’un pays où les dépenses publiques pèsent structurellement 55 % du PIB résultent au premier chef des effets d’un néolibéralisme effréné.La fin de l’opposition entre la droite et la gauche historiques (au sens ancien : les rentes vs l’égalité des chances, le partage de la valeur ajoutée entre le travail et le capital, la reproduction des conditions, surtout à travers l’école et l’héritage immobilier1 vs le mérite, l’émancipation par la culture et le travail vs l’aliénation du travailleur machine, etc.) n’est pas le fruit d’une recomposition politique, mais la traduction idéologique d’une évolution fondamentale. Jusqu’à la fin des années 1980, en France, on pouvait encore dire « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain » sans être contredit par les faits.
Les forts gains de productivité du secteur productif généraient un surplus suffisant pour financer l’extension des services publics et de l’État providence. Les surplus d’aujourd’hui servent une augmentation de la valeur des actifs qui concentre le patrimoine et alimentent surtout les recettes fiscales. Il s’en suit une perte de sens et même une inversion des valeurs. La valeur travail, le mérite, l’ouverture sont revendiqués par le bloc élitaire et le repli identitaire, nationaliste ou vers des petites communautés localistes et des tribus sont devenues des valeurs de la gauche populaire qu’elle soit classée – à tort pour la majorité des électeurs – d’extrême droite ou d’extrême gauche. Sans un projet collectif, il sera difficile de concilier des aspirations démocratiques si différentes selon les échelles. Il s’agit d’un défi majeur pour les politiques d’aménagement des territoires et de transport dans un contexte de retour de l’inflation et de nécessaire maîtrise de la consommation d’énergie. L’équipe de TI&M – économie, politique, société – prépare un dossier dans les prochains mois pour apporter sa contribution au débat.
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