L’ÉDITO
CHRONIQUES
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ENTRE SIDÉRATION ET AFFLICTION…
CHRONIQUES
LES TRANSPORTS À L’ÉPREUVE DE LA CONTRAINTE BUDGÉTAIRE : OU L’INVERSE ?
VERS UNE POLITIQUE EUROPÉENNE DES PORTS MARITIMES ?
ÉDITO
ENTRE SIDÉRATION ET AFFLICTION...
Il est indispensable de restaurer les comptes publics, ceux de l’État ainsi que ceux de la protection sociale dans son ensemble. Notre pays ne peut pas continuer à financer sa décroissance relative en tirant des traites sur les générations futures.
Le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de Finances de la Sécurité sociale (PLFSS) sont encore en chantier à la mi-novembre, rendant leur contenu final difficile à anticiper au moment de l’atterrissage final. Les discussions se mènent dans un moment où les menaces se font de plus en plus précises sur la réelle trajectoire de la réindustrialisation de la France et, plus immédiatement, sur le maintien de la base industrielle stratégique existante (ex. : la chimie et les précurseurs des antibiotiques, les constructeurs d’automobiles électriques et d’équipements automobiles ou plusieurs ETI productrices de composants indispensables à la transition énergétique). Une telle situation devrait obliger à sortir des postures simplistes, du prêt-à-penser et des solutions fiscales court-termistes.
La compétitivité des sites industriels français constitue un impératif pour l’emploi (garant de la cohésion territoriale et sociale), pour la production de richesses (indispensable à l’élargissement de la base taxable permettant de financer le modèle social et la transition énergétique), pour la souveraineté et même pour la transition écologique à travers une réindustrialisation profonde.
Dans ce contexte, alors que des élus nationaux de tous bords souhaitent que le « travail paie » ou qu’« il ne soit pas écrasé » et que des élus locaux s’indignent des annonces qui s’accumulent de fermetures de sites industriels ou de la réduction importante de l’emploi dans d’autres sites, il semble assez curieux, qu’il soit benoîtement envisagé de réduire les exonérations de charges sur les bas salaires ; ce qui au passage ne constitue pas une réduction de dépense, mais bien une augmentation de la fiscalité si l’on consent à considérer ensemble le PLF et le PLFSS.
Lorsqu’au surplus des velléités exprimées sur plusieurs bancs de l’Assemblée obligent à considérer sérieusement la probabilité d’une nouvelle augmentation du coût du travail du fait d’ajouts du versement mobilité (VM) – des débats se focalisant davantage sur la répartition entre autorités organisatrices de la mobilité (AOM) que sur l’évaluation des conséquences à long terme –, on peut légitimement se demander s’il y a un pilote dans l’avion. Les charges qui pèsent directement et exclusivement sur la masse salariale sont particulièrement sensibles pour les entreprises industrielles fortement exposées à la concurrence internationale. Elles ont également pour conséquence de faire pression sur la rémunération nette du travail.
Pour rester dans notre champ des transports, examinons, parmi les idées qui prospèrent, l’hypothèse saugrenue d’un financement des AOM régionales par un VM régional à 0,2 % généralisé à l’ensemble du territoire national.
La jurisprudence a d’ailleurs conformé que le VM est assimilé aux « impôts et taxes de toutes natures » et ne constitue plus une contribution des employeurs au système de transport collectif en échange d’un service de transport utile aux salariés et donc aux entreprises (attractivité au sein d’un bassin d’emploi étendu, prise en charge indirecte des externalités des déplacements, voire une forme de « salaire urbain » permettant de réduire le coût de la mobilité contrainte pour les travailleurs).
On ne peut pas nier que cette relation existe au sein des unités urbaines, mais elle s’est largement distendue du fait de l’augmentation des déplacements domicile-travail au-delà des périmètres des transports urbains. Les déplacements longs du quotidien constituent un angle mort des politiques de mobilité à l’exception de quelques rares territoires ayant mis en place une gouvernance adaptée et des outils à une meilleure échelle avec les syndicats mixtes SRU.
Ce sont les salariés des entreprises de plus de 11 personnes – et donc, statistiquement, en proportion plus les CSP ouvriers et employés – qui verraient le coût du travail augmenter, contrairement aux professions libérales, aux indépendants ou aux salariés des micro-start-up majoritairement situés au cœur des métropoles. Ce sont les mêmes – ouvriers et employés – qui ne bénéficient pas autant de l’offre de transport public. Ceci résulte, d’une part, d’une localisation de leurs emplois dans des sites moins bien desservis par les transports collectifs (TC) que les zones concentrant les emplois de bureau, et d’autre part, d’une localisation de leur domicile statistiquement plus éloignée de leur lieu de travail et presque toujours plus éloignée des gares et stations de TC du fait des prix immobiliers et des niveaux de loyer (à l’exception des bénéficiaires d’un logement social).
Il faut, sans doute, trouver de nouvelles ressources fiscales pour financer l’amélioration des transports publics afin de développer une offre efficiente et efficace pour les déplacements longs du quotidien principalement réalisés en véhicule particulier (avec un budget monétaire et en temps pour le transport contraint qui conduit à faire basculer des millions de travailleurs dans la précarité transport et qui dégrade fortement la qualité de vie au travail si on y intègre les déplacements domicile travail et qui peut même conduire à des difficultés pour pourvoir les postes). C’est le sujet des services express régionaux métropolitains¹. Toutefois, augmenter indéfiniment les charges pesant sur les entreprises exposées à la concurrence internationale pour financer les entreprises de transport risque de fragiliser la base économique créatrice de richesses, donc de recettes fiscales, et d’aggraver encore le retour à l’équilibre des comptes publics².
Il faut que les ressources qui financent les transports émanent d’abord de ceux qui en bénéficient au premier chef. Le rapport Duron sur le financement des transports conventionnés avait proposé des pistes et même esquissé l’idée intéressante que l’augmentation du VM ne devrait être envisagée qu’à la condition que les recettes commerciales du service public de transport atteignent une proportion acceptable du coût total du service. Pourtant, depuis ce rapport, la marche vers la gratuité des transports prospère sous différentes formes (une gratuité partielle ou totale, mais réservée aux résidents-électeurs à l’intérieur du ressort territorial de l’AOM, une tarification plate à travers des abonnements dézonés et, depuis peu, une tarification plate même pour les usagers occasionnels). Cela quels que soit le besoin de financement public et le fameux ratio recettes sur dépenses, ce qui rend l’équation financière plus difficile et également la question politique plus sensible. Le surcroît de VM doit-il servir principalement à réduire le coût pour les usagers existants ou à développer l’offre pour les salariés (souvent contributeurs via le VM) qui ne bénéficient pas encore de services ?
Taxer plus lourdement la masse salariale semble être une solution de facilité. D’autant plus que les conséquences sur les contribuables-électeurs ne sont pas directement perceptibles, on maintient la fiction que ce sont les entreprises qui règlent la note et pas, in fine, les salariés. Cette base taxable est simple à décider et à prévoir, au moins cela évitera les erreurs des modèles de prévision des recettes fiscales. Cette exception, dont la France s’est longtemps félicitée, est devenue délétère et anti-redistributive (voir TI&M, no 543 et no 545).
Il serait plus sage et vertueux que les collectivités souhaitant faire peser la charge des transports collectifs essentiellement, voire intégralement, sur le contribuable en assument la responsabilité dans le cadre d’une autonomie fiscale renforcée. Le débat annoncé sur le nouveau modèle de financement des transports (pour la partie exploitation) devra dégager des pistes sérieuses : une taxe additionnelle à la taxe de séjour, une taxe additionnelle à la TFPB, éventuellement modulée selon le type de bien (activité, logement) et selon l’usage du logement. Par exemple, on pourrait prévoir une surcote pour les locations meublées et/ou saisonnières, un taux nominal pour les propriétaires-occupants, une sous-cote pour les logements loués en location longue durée et une exonération de cette taxe additionnelle pour les bailleurs sociaux. Il est largement démontré que la qualité et la densité de la desserte en transport collectif sont un facteur important de la valeur des localisations et donc des actifs et également, malheureusement, que l’amélioration de la qualité et la densité de desserte repoussent les ménages moins aisés des zones desservies par les TC. Les analyses MobPro par CSP et selon le statut d’occupation du logement (propriétaire-occupant, locataire du parc privé, locataire du parc social) fournissent déjà des enseignements instructifs pour l’Île-de-France et le système métropolitain lyonnais. Ces analyses mériteraient d’être approfondies par un travail fouillé des chercheurs, notamment après la mise en service des lignes du GPE.
Ce lien entre la valorisation des actifs urbains et le financement des infrastructures de transport a été testé sans succès, car il est trop complexe à mettre en œuvre compte tenu du décalage temporel. Il semble, en revanche, aisé à concevoir pour le financement de la partie publique du financement de l’exploitation. Les choix politiques locaux entre le niveau de contribution des usagers et de contribution fiscale en seraient plus éclairés.
Rendez-vous est donné à nos lecteurs en début d’année sur les innovations à promouvoir et à éviter en matière de financement des infrastructures de transport. Nous aborderons également les modalités du financement pour combler les déficits d’exploitation. Peut-être conviendrait-il de distinguer ce qui relève des déplacements contraints, pour lesquels un système de transport multimodal bien calibré et gouverné peut contribuer à décarboner massivement, et des déplacements à motifs de loisir pour lesquels une amélioration du coût généralisé des transports (coût monétaire et temps) conduit implacablement à une augmentation très forte de la demande (cf. transport aérien, transport ferroviaire rapide) beaucoup plus qu’à un report modal.
Hervé Nadal
Notes
1. On doit conclure que le terme « métropolitains » fait référence au territoire (aire métropolitaine des déplacements longs du quotidien) et que le terme « régionaux » fait, lui, référence à la compétence ferroviaire. Mais les métropoles comme les régions sont AOM et entre les deux il y a les syndicats mixtes SRU (locaux, ou régionaux à travers leur conférence locale de mobilité dédiée) pour traiter des DLQ.
2. Dès lors que l’on accepte la réalité que la dette publique ne peut pas rouler à l’infini sans une augmentation dramatique de son coût pour la collectivité et que l’on exclut l’hypothèse d’un défaut de paiement.
LES TRANSPORTS À L'ÉPREUCEC DE LA CONTRAINTE BUDGÉTAIRE : OU L'INVERSE ?
Lors du salon des Transports publics à Strasbourg, le nouveau ministre des Transports, François Durovray, a été interrogé sur la question de leur financement. En réponse, il a rappelé que « les milliards attendus de l’État ne sont pas connus » et il a estimé nécessaire de « réinventer le modèle économique du secteur ». Peut-on en déduire que la gravité de la situation des finances publiques va déboucher sur des révisions déchirantes ?
Dans une interview aux Echos le 5 juillet 2017, Élisabeth Borne, ministre des Transports, déclarait : « Nous ne pouvons pas poursuivre les promesses non financées. » Quatre jours auparavant, le nouveau président de la République, dont l’objectif était alors de réduire les déficits publics, avait annoncé une pause sur les projets de LGV. « Pause », le mot convient bien. Depuis, les projets de LGV ont été relancés et Élisabeth Borne, alors devenue Première ministre, avait annoncé en 2023 que 100 Md€ seraient investis dans le ferroviaire à l’horizon 2040, celui du déploiement des SERM (services express régionaux métropolitains). En quelques années, tout s’est donc passé comme si la contrainte budgétaire s’était évanouie. En ira-t-il de même dans les années qui viennent ou doit-on considérer que le poids de la dette publique, passée en sept ans de 2 200 à 3 200 Md€ impose d’en finir avec les « narratifs destructeurs » (voir le n° 545 de TI&M) ?
Au-delà du "coup de rabot" : un nouvel agenda ?
Même s’il est cruel, un détour mémoriel est évocateur. Fin juin 2017, la Cour des comptes, alors présidée par Didier Migaud, publie le rapport¹ d’audit que lui a demandé le Premier ministre sur la situation des finances publiques. Alarmiste, la Cour y préconise « un effort d’économies sans précédent ». En 2024, dans son rapport annuel, la juridiction rappelle que « les finances publiques françaises sont dans une situation inquiétante ». Un euphémisme, car la situation budgétaire à laquelle est confronté le gouvernement Barnier est beaucoup plus tendue qu’en 2017.
Le projet de budget présenté au Parlement en témoigne. Il comporte de multiples coups de rabot qui touchent tous les ministères et notamment le ministère des Transports. Le Projet annuel de performance de la DGITM en annexe du projet de loi de finances 2025 indique que les crédits de paiement de l’AFITF vont baisser de près de 900 M€, principalement car la part de TICPE que percevait l’agence va passer de 2 à 1,28 Md€. Pour les budgets consacrés à la route, à la voie d’eau ou aux ports, des dizaines de millions sont rabotées ici et là sachant que, du fait de l’inflation, même un budget constant correspond à une baisse du pouvoir d’achat des crédits alloués.
Ces coupes budgétaires avaient été préparées durant l’été 2024 par l’équipe démissionnaire. Le nouveau gouvernement les assume, mais le ministre des Transports n’en reste pas là. Au fil de ses annonces, il esquisse un agenda qui, sans être en rupture, dessine de nouvelles priorités.
- Différence majeure avec son prédécesseur, et à la suite du Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, il pointe du doigt les risques de la gratuité dans les transports.
- Dans la continuité de ses préconisations pour l’Île-de-France, il propose de développer rapidement, dans les périphéries des métropoles, des services d’autocar. Non pas concurrents, mais complémentaires des TER.
- Ce choix est cohérent avec les SERM et la loi de décembre 2023 dont les premiers articles insistent sur le rôle de la route dans l’amélioration de l’offre des transports collectifs. C’est également cohérent avec les prévisions du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE)².
Les priorités affichées par François Durovray ne tombent pas du ciel. Elles sont dans la continuité de ses responsabilités à la tête du département de l’Essonne, où la route joue un rôle clé dans les mobilités. Rappelons qu’il est aussi président de la Commission Mobilités au sein de l’Association des départements de France (ADF), lesquels gèrent 380 000 km de routes. Mais le nouvel agenda résulte également de contraintes financières qui ne se limiteront pas à l’année 2025.
Dette écologique et dette financière : les transports sur la sellette
En associant dette financière et dette écologique, le Premier ministre interpelle le secteur des transports, puissant facteur de dette écologique et de dette financière³.
- La dette écologique résulte des émissions de CO2 des transports routiers et aériens. Pour la réduire, depuis plus de vingt ans, la Commission européenne ou les politiques nationales promeuvent le report modal. Le transport ferroviaire, censé devenir la colonne vertébrale des mobilités, a donc bénéficié d’importantes subventions publiques. Néanmoins, leur impact sur les émissions a été marginal, car le principe de substitution (un voyageur en plus dans un train serait un voyageur en moins en voiture ou en avion) n’a pas fonctionné. Les trafics ferroviaires ont progressé (+ 58 % de 1990 à 2019), mais les trafics routiers aussi (+ 34 %) et l’aérien plus encore (+ 100 % avec l’international). En trente ans, la part modale du ferroviaire n’a augmenté que de 2 points et les émissions de CO2 des transports ont crû de 5 % !
- Or le transport ferroviaire, gourmand en fonds publics, participe à l’aggravation de la dette publique. 35 Md€ de dettes de la SNCF n’ont-ils pas été transférés à l’État au début de cette décennie ? Et d’où proviennent les 16,8 Md€ de versements divers à la SNCF en 2022 (hors les 3,2 Md€ de charges de retraite) ? FIPECO⁴ nous apprend que de 2016 à 2022, cette somme a progressé de 60 %, 3,2 fois plus vite que le PIB nominal !
Le constat est cruel. Il révèle que le développement du transport ferroviaire a peu d’impact sur la dette écologique alors qu’il aggrave la dette financière. Cela ne signifie pas que les subventions reçues sont illégitimes, mais que l’enjeu clé du ferroviaire n’est pas la décarbonation, mais sa capacité à offrir aux voyageurs des services de transport performants. À quel prix ?⁵
- La passion pour la gratuité n’a d’égale que le culte des infrastructures, lequel confine au fétichisme. Chacun veut avoir son grand projet et depuis longtemps, la Société du Grand Paris fait rêver la Province. Pour lui complaire, elle a été transformée en Société des grands projets. Même si elle n’a pas de moyens à leur accorder, la SGP nourrit aujourd’hui les espoirs les plus fous des SERM jusqu’à parler de RER pour une offre qui ne sera qu’une amélioration marginale des services de TER.
- Depuis la régionalisation des TER (loi SRU en 2000), les trafics et la qualité de service ont nettement progressé, mais à quel prix ? Pourquoi les subventions publiques au transport régional de voyageurs sont-elles, en France, 3 fois plus élevées par train.km qu’en Allemagne et même plus importantes qu’au Luxembourg où le train est gratuit ?⁶
Figure 1 : Les subventions au transport ferré régional (€/train.km, 2022).
- Pourquoi les Régions sont-elles si prudentes et pour certaines franchement rétives à faire jouer la concurrence en recourant à des appels d’offres ?
La réponse à cette question et la culture du « quoi qu’il en coûte » ne résideraient-elles pas dans le fait que les décideurs publics ont une « fonction objectif » qui consiste à maximiser le budget sous leur responsabilité ? C’est principalement pour cette raison que les propositions de François Durovray sont reçues si fraîchement. Mettre en place des autocars qui coûtent dix fois moins d’argent public par véhicule.km, n’est-ce pas déchoir ? Face aux autocars express, la stratégie n’est-elle pas de s’accrocher aux projets les plus onéreux, coûte que coûte ?
Le lecteur circonspect pourra dans les mois qui viennent juger sur pièces. Dans le champ des transports comme dans de nombreux autres, la machine à produire des surenchères va fonctionner à plein. Ce n’est pas par hasard que les agences de notation ont indiqué qu’elles ne considéraient pas comme crédible la trajectoire budgétaire promise par le gouvernement Barnier. En juin 2017, Élisabeth Borne avait déclaré « la contrainte budgétaire est salutaire, car elle oblige à raisonner en termes de services de mobilité plutôt qu’en termes d’infrastructures » ! Décidément, la mémoire est cruelle ! Le revirement sur les LGV, seulement trois ans après le discours de Rennes, méritera de figurer au panthéon des revirements politiques sans changement de majorité⁷.
Notes
1. https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2017-07/20170629-RSPFP_0.pdf
2. Le SGPE prévoit, de 2022 à 2030, + 17 % pour le rail, mais + 52 % pour les autocars.
3.Déjà en juillet-août 2021 un dossier complet intitulé « Transports : le défi des dettes climatiques et financières » avait été publié dans le n° 528 de TI&M. Ce dossier s’intégrait dans un cycle : n° 525 « Décarboner sans décroître ? », n° 526 « Transports collectifs le défi de l’efficacité », n° 527 « Financement, la grande impasse » et précédait un n° 532 « Système ferroviaire et questions économiques ». Autant de rappels au principe de responsabilité des décideurs publics comptables de l’argent public, et plus prosaïquement même, au principe de réalité, qui sont restés lettre morte.
4. https://www.fipeco.fr/fiche/Le-co%C3%BBt-de-la-SNCF-pour-le-contribuable
5. Voir, dans le n° 545, les données fournies par Jean Coldefy.
6. https://transport.ec.europa.eu/transport-modes/rail/market/rail-market-monitoring-rmms_en
7. Voir dans ce numéro l’article de Jean-Pierre Orfeuil « Les sociétés de projet, source de dérives incontrôlées des dépenses publiques ».
VERS UNE POLITIQUE EUROPÉENNE DES PORTS MARITIMES ?
Alors que la crise de la Covid-19 a révélé la fragilité de certaines chaînes logistiques internationales, les préoccupations européennes sont marquées par les tensions géopolitiques mondiales, l’objectif de souveraineté économique, le souci de conjuguer développement durable et compétitivité (comme le recommande le rapport Draghi). Ces questions renouvellent l’intérêt pour le transport maritime et notamment les points clés que sont les ports.
Chacun sait le rôle primordial du transport maritime dans l’économie mondiale, puisque 80 % du tonnage du commerce international mondial de marchandises transitent par la mer. À l’intérieur de l’Europe, le cabotage intra-européen revêt également une grande importance et constitue, sur certains itinéraires majeurs, une alternative au transport terrestre.
Partage modal du fret en Europe (UE 27), % t.km, 2020. Source : Eurostat.
Sur la base du rapport d’initiative de Tom Berendsen (député, membre du PPE), le Parlement européen a adopté, le 17 janvier 2024, une résolution sur la construction d’une stratégie portuaire européenne globale¹. Quatre questions sont particulièrement prises en compte dans ce rapport :
l’influence étrangère (et notamment les investissements chinois) qui peut avoir « des conséquences négatives sur la position concurrentielle » des ports concernés.
La sécurité, pour prévenir les risques d’espionnage et de sabotage, les risques sur la propriété intellectuelle et les transferts de technologie, le trafic des drogues illicites et des armes, l’importation de contrefaçons et la fraude à la TVA.
La transition énergétique, pour les investissements dans les ports, les terminaux et les infrastructures, l’économie circulaire, le transfert modal, la connectivité avec l’arrière-pays. Est également mentionné le dialogue social en matière de formation et d’apprentissage tout au long de la vie.
La compétitivité des ports et des entreprises de l’UE. La législation européenne ne devrait pas nuire à la compétitivité des ports de l’Union ou provoquer des fuites commerciales vers des ports situés en dehors de l’Union. Il convient d’éliminer les pratiques telles que la sous-tarification, se doter d’un code des douanes commun.
En conclusion, le Parlement a « demandé la tenue d’un sommet portuaire européen pour […] renforcer la coopération entre les ports européens ».
En écho aux préconisations de ce rapport d’initiative, la Commission a inscrit dans la lettre de mission du futur commissaire chargé des Transports l’objectif d’élaborer une stratégie portuaire européenne globale².
Si ces questions concernent tous les États membres, elles renvoient à des situations très différentes d’un pays à l’autre. Les ports européens diffèrent tant par leurs volumes d’activité inégaux que par leurs fonctions profondément différentes : ports spécialisés dans le trafic de vracs, de conteneurs, de trafic Ro-Ro, hubs de transbordement et ports secondaires, jouxtés ou non d’une zone industrielle, à l’hinterland continental ou local, etc. La France n’est pas parmi les premières puissances maritimes européennes. Elle est l’un des pays où le trafic maritime par habitant est le plus bas, avec 4,1 tonnes par an contre 7,7 tonnes pour la moyenne de l’Union³. Marseille est au sixième rang pour les tonnages traités, Le Havre au dixième rang pour le trafic de conteneurs.
Activité des principaux ports d’Europe (tous produits, millions de tonnes) en 2021. Source : Eurostat.
Activité des principaux ports d’Europe (conteneurs, millions de tonnes, 2021). Source : Eurostat.
La stratégie nationale portuaire française de 2021⁴ identifie quatre objectifs prioritaires, en faisant des ports « des maillons essentiels de la performance des chaînes logistiques, des outils de développement économique des territoires, des accélérateurs de transition écologique et enfin des moteurs de l’innovation numérique ». L’accent est mis sur la reconquête des trafics face à la concurrence des pays proches, à rebours de la coopération européenne ! De son côté, la stratégie pour la mer et le littoral est centrée sur les questions énergétiques et environnementales⁵. Enfin et tout récemment, a été déposée à l’Assemblée nationale une proposition de loi pour être mieux informé des suites des travaux du Comité interministériel de la mer⁶. Manquerait-on en ces matières d’une vision politique suffisamment claire ? Les préoccupations mises en avant au niveau européen recoupent-elles celles du Gouvernement français actuel ?
Note
- Voir Rapport sur la construction d’une stratégie portuaire européenne globale (2023/2059[INI]) https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2023-0443_FR.html, Commission des transports et du tourisme du Parlement européen, rapporteur Tom Berendsen, 15 décembre 2023 et la fiche de procédure (https://oeil.secure.europarl.europa.eu/oeil/popups/printficheglobal.pdf?id=744527&l=fr).
- Sa lettre de mission signée d’Ursula von der Leyen précise p. 6 : “You will also propose a new industrial maritime strategy to enhance the competitiveness, sustainability and resilience of Europe’s maritime manufacturing sector […]It shouldnotably focus on security and competitiveness, building on the work of the European Ports Alliance.” https://commission.europa.eu/document/de676935-f28c-41c1-bbd2-e54646c82941_en
- Source : Eurostat-Statistics Explained, “Maritime freight and vessels statistics”.
- « Stratégie nationale portuaire (SNP) », Gouvernement, 2021.
- « Stratégie nationale pour la mer et le littoral 2024-2030 », Gouvernement, 2024.
- Proposition de loi visant à suivre l’application des mesures du Comité interministériel de la mer (CIMer) et à évaluer les politiques publiques pour l’économie bleue, n° 424, déposée le 15 octobre 2024.
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Depuis plusieurs décennies, l’Union européenne s’efforce de revitaliser le ferroviaire. À travers l’ouverture à la concurrence, les réformes ont dynamisé les réseaux ferrés dans plusieurs pays, entraînant une baisse des tarifs, une augmentation des fréquences et une amélioration de la qualité de service. Cependant, les modèles adoptés, comme en Italie, en Espagne, ou encore en Allemagne, illustrent des résultats contrastés selon les cadres réglementaires et les stratégies nationales. Face aux défis climatiques et sociaux, le ferroviaire reste une solution incontournable pour une mobilité décarbonée et équitable, malgré les complexités liées à l’articulation des acteurs publics et privés. En France, cette ouverture n'est plus une perspective, mais une réalité, même si les les défis rencontrés par les nouveaux entrants sont colossaux. Cette implantation exigent des investissements massifs ainsi qu'un modèle économique aussi innovant que robuste. La dynamique de ces prochaines années sera cruciale, avec à la clef, une modification du paysage ferroviaire français dans une coexistence équilibrée entre acteurs historiques et nouveaux entrants.
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Guy Bourgeois - Ouverture du marché ferroviaire : premier bilan
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