L’ÉDITO
ENTRE SIDÉRATION ET AFFLICTION…
CHRONIQUES
LES TRANSPORTS À L’ÉPREUVE DE LA CONTRAINTE BUDGÉTAIRE : OU L’INVERSE ?
VERS UNE POLITIQUE EUROPÉENNE DES PORTS MARITIMES ?
ÉDITO
ENTRE SIDÉRATION ET AFFLICTION…
Il est indispensable de restaurer les comptes publics, ceux de l’État ainsi que ceux de la protection sociale dans son ensemble. Notre pays ne peut pas continuer à financer sa décroissance relative en tirant des traites sur les générations futures.
Le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de Finances de la Sécurité sociale (PLFSS) sont encore en chantier à la mi-novembre, rendant leur contenu final difficile à anticiper au moment de l’atterrissage final. Les discussions se mènent dans un moment où les menaces se font de plus en plus précises sur la réelle trajectoire de la réindustrialisation de la France et, plus immédiatement, sur le maintien de la base industrielle stratégique existante (ex. : la chimie et les précurseurs des antibiotiques, les constructeurs d’automobiles électriques et d’équipements automobiles ou plusieurs ETI productrices de composants indispensables à la transition énergétique). Une telle situation devrait obliger à sortir des postures simplistes, du prêt-à-penser et des solutions fiscales court-termistes.
La compétitivité des sites industriels français constitue un impératif pour l’emploi (garant de la cohésion territoriale et sociale), pour la production de richesses (indispensable à l’élargissement de la base taxable permettant de financer le modèle social et la transition énergétique), pour la souveraineté et même pour la transition écologique à travers une réindustrialisation profonde.
Dans ce contexte, alors que des élus nationaux de tous bords souhaitent que le « travail paie » ou qu’« il ne soit pas écrasé » et que des élus locaux s’indignent des annonces qui s’accumulent de fermetures de sites industriels ou de la réduction importante de l’emploi dans d’autres sites, il semble assez curieux, qu’il soit benoîtement envisagé de réduire les exonérations de charges sur les bas salaires ; ce qui au passage ne constitue pas une réduction de dépense, mais bien une augmentation de la fiscalité si l’on consent à considérer ensemble le PLF et le PLFSS.
Lorsqu’au surplus des velléités exprimées sur plusieurs bancs de l’Assemblée obligent à considérer sérieusement la probabilité d’une nouvelle augmentation du coût du travail du fait d’ajouts du versement mobilité (VM) – des débats se focalisant davantage sur la répartition entre autorités organisatrices de la mobilité (AOM) que sur l’évaluation des conséquences à long terme –, on peut légitimement se demander s’il y a un pilote dans l’avion. Les charges qui pèsent directement et exclusivement sur la masse salariale sont particulièrement sensibles pour les entreprises industrielles fortement exposées à la concurrence internationale. Elles ont également pour conséquence de faire pression sur la rémunération nette du travail.
Pour rester dans notre champ des transports, examinons, parmi les idées qui prospèrent, l’hypothèse saugrenue d’un financement des AOM régionales par un VM régional à 0,2 % généralisé à l’ensemble du territoire national.
La jurisprudence a d’ailleurs conformé que le VM est assimilé aux « impôts et taxes de toutes natures » et ne constitue plus une contribution des employeurs au système de transport collectif en échange d’un service de transport utile aux salariés et donc aux entreprises (attractivité au sein d’un bassin d’emploi étendu, prise en charge indirecte des externalités des déplacements, voire une forme de « salaire urbain » permettant de réduire le coût de la mobilité contrainte pour les travailleurs).
On ne peut pas nier que cette relation existe au sein des unités urbaines, mais elle s’est largement distendue du fait de l’augmentation des déplacements domicile-travail au-delà des périmètres des transports urbains. Les déplacements longs du quotidien constituent un angle mort des politiques de mobilité à l’exception de quelques rares territoires ayant mis en place une gouvernance adaptée et des outils à une meilleure échelle avec les syndicats mixtes SRU.
Ce sont les salariés des entreprises de plus de 11 personnes – et donc, statistiquement, en proportion plus les CSP ouvriers et employés – qui verraient le coût du travail augmenter, contrairement aux professions libérales, aux indépendants ou aux salariés des micro-start-up majoritairement situés au cœur des métropoles. Ce sont les mêmes – ouvriers et employés – qui ne bénéficient pas autant de l’offre de transport public. Ceci résulte, d’une part, d’une localisation de leurs emplois dans des sites moins bien desservis par les transports collectifs (TC) que les zones concentrant les emplois de bureau, et d’autre part, d’une localisation de leur domicile statistiquement plus éloignée de leur lieu de travail et presque toujours plus éloignée des gares et stations de TC du fait des prix immobiliers et des niveaux de loyer (à l’exception des bénéficiaires d’un logement social).
Il faut, sans doute, trouver de nouvelles ressources fiscales pour financer l’amélioration des transports publics afin de développer une offre efficiente et efficace pour les déplacements longs du quotidien principalement réalisés en véhicule particulier (avec un budget monétaire et en temps pour le transport contraint qui conduit à faire basculer des millions de travailleurs dans la précarité transport et qui dégrade fortement la qualité de vie au travail si on y intègre les déplacements domicile travail et qui peut même conduire à des difficultés pour pourvoir les postes). C’est le sujet des services express régionaux métropolitains¹. Toutefois, augmenter indéfiniment les charges pesant sur les entreprises exposées à la concurrence internationale pour financer les entreprises de transport risque de fragiliser la base économique créatrice de richesses, donc de recettes fiscales, et d’aggraver encore le retour à l’équilibre des comptes publics².
Il faut que les ressources qui financent les transports émanent d’abord de ceux qui en bénéficient au premier chef. Le rapport Duron sur le financement des transports conventionnés avait proposé des pistes et même esquissé l’idée intéressante que l’augmentation du VM ne devrait être envisagée qu’à la condition que les recettes commerciales du service public de transport atteignent une proportion acceptable du coût total du service. Pourtant, depuis ce rapport, la marche vers la gratuité des transports prospère sous différentes formes (une gratuité partielle ou totale, mais réservée aux résidents-électeurs à l’intérieur du ressort territorial de l’AOM, une tarification plate à travers des abonnements dézonés et, depuis peu, une tarification plate même pour les usagers occasionnels). Cela quels que soit le besoin de financement public et le fameux ratio recettes sur dépenses, ce qui rend l’équation financière plus difficile et également la question politique plus sensible. Le surcroît de VM doit-il servir principalement à réduire le coût pour les usagers existants ou à développer l’offre pour les salariés (souvent contributeurs via le VM) qui ne bénéficient pas encore de services ?
Taxer plus lourdement la masse salariale semble être une solution de facilité. D’autant plus que les conséquences sur les contribuables-électeurs ne sont pas directement perceptibles, on maintient la fiction que ce sont les entreprises qui règlent la note et pas, in fine, les salariés. Cette base taxable est simple à décider et à prévoir, au moins cela évitera les erreurs des modèles de prévision des recettes fiscales. Cette exception, dont la France s’est longtemps félicitée, est devenue délétère et anti-redistributive (voir TI&M, no 543 et no 545).
Il serait plus sage et vertueux que les collectivités souhaitant faire peser la charge des transports collectifs essentiellement, voire intégralement, sur le contribuable en assument la responsabilité dans le cadre d’une autonomie fiscale renforcée. Le débat annoncé sur le nouveau modèle de financement des transports (pour la partie exploitation) devra dégager des pistes sérieuses : une taxe additionnelle à la taxe de séjour, une taxe additionnelle à la TFPB, éventuellement modulée selon le type de bien (activité, logement) et selon l’usage du logement. Par exemple, on pourrait prévoir une surcote pour les locations meublées et/ou saisonnières, un taux nominal pour les propriétaires-occupants, une sous-cote pour les logements loués en location longue durée et une exonération de cette taxe additionnelle pour les bailleurs sociaux. Il est largement démontré que la qualité et la densité de la desserte en transport collectif sont un facteur important de la valeur des localisations et donc des actifs et également, malheureusement, que l’amélioration de la qualité et la densité de desserte repoussent les ménages moins aisés des zones desservies par les TC. Les analyses MobPro par CSP et selon le statut d’occupation du logement (propriétaire-occupant, locataire du parc privé, locataire du parc social) fournissent déjà des enseignements instructifs pour l’Île-de-France et le système métropolitain lyonnais. Ces analyses mériteraient d’être approfondies par un travail fouillé des chercheurs, notamment après la mise en service des lignes du GPE.
Ce lien entre la valorisation des actifs urbains et le financement des infrastructures de transport a été testé sans succès, car il est trop complexe à mettre en œuvre compte tenu du décalage temporel. Il semble, en revanche, aisé à concevoir pour le financement de la partie publique du financement de l’exploitation. Les choix politiques locaux entre le niveau de contribution des usagers et de contribution fiscale en seraient plus éclairés.
Rendez-vous est donné à nos lecteurs en début d’année sur les innovations à promouvoir et à éviter en matière de financement des infrastructures de transport. Nous aborderons également les modalités du financement pour combler les déficits d’exploitation. Peut-être conviendrait-il de distinguer ce qui relève des déplacements contraints, pour lesquels un système de transport multimodal bien calibré et gouverné peut contribuer à décarboner massivement, et des déplacements à motifs de loisir pour lesquels une amélioration du coût généralisé des transports (coût monétaire et temps) conduit implacablement à une augmentation très forte de la demande (cf. transport aérien, transport ferroviaire rapide) beaucoup plus qu’à un report modal.
Hervé Nadal
Notes
1. On doit conclure que le terme « métropolitains » fait référence au territoire (aire métropolitaine des déplacements longs du quotidien) et que le terme « régionaux » fait, lui, référence à la compétence ferroviaire. Mais les métropoles comme les régions sont AOM et entre les deux il y a les syndicats mixtes SRU (locaux, ou régionaux à travers leur conférence locale de mobilité dédiée) pour traiter des DLQ.
2. Dès lors que l’on accepte la réalité que la dette publique ne peut pas rouler à l’infini sans une augmentation dramatique de son coût pour la collectivité et que l’on exclut l’hypothèse d’un défaut de paiement.