Le régulateur étudie deux scénarios pour l’avenir du réseau ferré
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L’Autorité de régulation des transports (ART) qui avait auparavant montré les limites du « contrat de performance » conclu entre l’État et SNCF Réseau a voulu enrichir le débat sur l’avenir du réseau ferré national en étudiant deux scénarios de développement bidécennaux selon une vision de « cible industrielle ».
Le document publié en juin dernier par l’ART sur l’avenir du réseau ferroviaire français durant les premières années de l’horizon 2030 se fonde sur une constatation du régulateur. Ce dernier estime que « l’actuel contrat de performance entre l’État et SNCF Réseau pour la période 2021-2030, signé le 6 avril 2022, fait l’impasse d’une véritable vision [de type] cible industrielle pour le réseau ferroviaire et sa consistance à dix ans ». L’ART considère que ce contrat « est principalement centré sur le retour à l’équilibre financier de court terme du gestionnaire d’infrastructures, sans définir une vision ou, a minima, engager une réflexion sur les trajectoires industrielles nécessaires pour disposer d’un réseau ferré performant [qui serait] à même de répondre aux objectifs qui lui sont fixés ».
Aussi, l’ART a voulu éclairer le débat avec ces deux scénarios prospectifs qui ont notamment pour objectif de mettre en lumière la consistance du réseau à l’horizon 2042 en fonction des moyens mobilisés.
Le premier qualifié de « tendanciel » est fondé sur les principes du contrat de performance de 2022 dont les trajectoires sont ici prolongées au-delà de 2030, jusqu’en 2042, et selon les mêmes critères. Le second, dit de « transition écologique », s’appuie sur le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures (COI) remis à la Première ministre en février dernier et qui ambitionne de se placer dans une démarche qualifiée de « planification écologique ».
En tout état de cause, les deux scénarios se placent sur la constatation commune des caractéristiques du réseau ferré français. Dont « les 27 000 kilomètres¹ recouvrent une grande diversité de situation tant en matière de consistance technique que d’usage ». Le rapport distingue ainsi le réseau dit « structurant » caractérisé par une infrastructure lourde tous trafics et les « lignes de desserte fine du territoire » (LDFT) qui s’inscrivent plutôt dans une logique d’aménagement… du territoire !
En dépit des efforts de régénération, l’état du réseau reste préoccupant
Ce réseau qui serait « à la croisée des chemins » quant à son avenir a bénéficié d’un triplement des investissements de régénération de 2005 à 2016 (près de 3,5 Md€ constants annuels) à la suite des différents audits qui avaient « mis en évidence un vieillissement préoccupant de l’infrastructure et l’insuffisance des moyens consacrés à la maintenance ». Toutefois, depuis 2016, ces efforts décroissent (25 % de 2021 à 2030) et l’ART constate que le « contrat de performance » ne remet pas en cause cette tendance, ce qui ferait craindre un décrochage du réseau ferré français en comparaison de ses homologues européens, alors que certains retards étaient déjà constatés dans ce domaine².
Le scénario dit « tendanciel » aurait tendance à maintenir, voire aggraver, cette situation. Prolongé jusqu’en 2042 afin d’être dans les mêmes conditions que le plan de « transition écologique », il totaliserait 136 Md€, dont 50 Md€ pour le renouvellement et la modernisation. Ce qui implique des financements « annuels extérieurs » (en plus des recettes des péages) d’environ 3 Md€ en euros constants.
Un scénario qui ne permettrait qu’une évolution a minima des modernisations d’infrastructures avec une commande centralisée du réseau (CCR) couvrant 50 % du kilométrage à l’horizon 2042 et pas plus de 2 200 km d’ERTMS, ce dernier total étant très en deçà des objectifs européens. Néanmoins, le risque serait aussi celui d’une possible rétractation du réseau côté LDFT, les investissements globalement insuffisants étant concentrés sur le réseau structurant (lignes de banlieue incluses) afin d’en préserver les performances.
Autres conséquences possibles, la stagnation des trafics, voire le recul (jusqu’à un quart à l’horizon 2042), faute de capacités et une hausse des coûts d’exploitation puisque la poursuite du vieillissement des infrastructures conduirait à une hausse des coûts d’entretien. En outre, ce rebond des coûts d’exploitation dégraderait les capacités d’investissement du gestionnaire d’infrastructures.
Un second scénario fondé sur un effort d’investissement très significatif
Face à cette sorte de spirale du déclin, le second des scénarios de l’ART aurait également l’ambition « d’accompagner la croissance du mode ferroviaire en cohérence avec les objectifs de décarbonation des transports ».
Il s’appuie sur un effort d’investissement significatif. Qui amènerait à augmenter de moitié les montants prévus dans le premier scénario pour atteindre plus de 200 Md€ durant la même période. Ce qui permettrait un quasi-doublement des investissements de renouvellement et de modernisation.
La CCR équiperait ainsi la quasi-totalité du réseau qui disposerait également de 9 000 km d’ERTMS (un tiers du kilométrage) « permettant de respecter avec une dizaine d’années de retard les objectifs fixés par la réglementation européenne ».
Ce qui, à partir de 2030, aiderait à accompagner le développement des trafics (+ 36 %) comme à stabiliser les coûts d’exploitation³. En dépit de l’augmentation des trafics puisque « le renouvellement de l’infrastructure permet de maîtriser les dépenses d’entretien, et le déploiement de la CCR assure l’absorption des hausses de trafic sans augmentation des coûts de gestion des circulations ». De plus, le taux de marge opérationnelle du gestionnaire d’infrastructures passerait de 25 % aujourd’hui à 48 % en 2042.
En tout état de cause, « quel que soit le scénario retenu, les besoins de financement sont très sensibles à l’inflation et les redevances d’infrastructures (les péages) ne pourront représenter qu’une partie des ressources nécessaires ». L’autofinancement du gestionnaire d’infrastructures est donc hors de portée.
Le rapport de l’ART évoque la nécessité de renforcer le pilotage des investissements du réseau ferré à l’aide d’un « document de planification unique, détaillé et transparent élaboré régulièrement ». Côté ferroviaire, cette planification porterait essentiellement sur les investissements de renouvellement et de modernisation.
L’ART imagine même s’insérer dans ce dispositif en assurant un « suivi plus étroit des investissements du gestionnaire d’infrastructures ». Suivi qui serait mené par l’insertion, en annexe du nouveau contrat de performance État-SNCF Réseau, du document pluriannuel de planification des investissements avec leur déclinaison annuelle détaillée, annexée au projet de budget de SNCF Réseau dont l’ART est saisie chaque année pour avis !
NOTES
1. Un total qui inclut les lignes fermées, voire celles déferrées, mais dont les emprises sont restées dans le giron du RFN (Réseau ferré national).
2. Particulièrement en matière de commande centralisée (20 % du réseau en France contre 60 % en Allemagne, en Italie et en Suisse) et d’implantation de l’ERTMS. Tandis que l’âge moyen de la voie reste bien plus élevé en France.
3. Le second scénario permettrait une baisse de 38 % du coût d’exploitation du sillon.km.
Michel Chlastacz
CONCURRENCE & MARCHÉS
Fret : SNCF Réseau sévèrement corrigé par le gendarme du rail
Marc Fressoz
Le 7 avril 2022, le Forum Vies Mobiles a publié : « La Ville du quart d’heure : voie à suivre ou mirage idéologique ? » Carlos Moreno, le diffuseur de la ville du quart d’heure, et Pierre Veltz, ingénieur, économiste et urbaniste, qui en remet en cause les vertus, répondaient aux questions introductrices de Vincent Kaufmann. J’invite nos lecteurs à qui cette publication aurait échappé à lire les deux contributions qui posent des questions importantes pour le pilotage des évolutions économiques, écologiques, sociales et territoriales auxquelles notre pays doit faire face. Dans une France en archipel sur le plan territorial et sociologique, que les commentateurs du dernier scrutin s’accordent à déclarer fracturée sur le plan politique, il sera utile d’explorer rationnellement les points de la controverse pour trouver des solutions opératoires et acceptées. La disjonction entre la ville des électeurs et la ville active des travailleurs de la première ligne et des jeunes cadres et employés du secteur productif explique pourquoi la maire de Paris (à l’instar des maires socialistes et verts des grandes villes) a obtenu un score très élevé aux élections municipales et assez modeste au niveau national. Ce n’est pas uniquement l’effet d’un vote utile. Un entrepreneur politique ne présente plus une offre collective, mais tente d’agréger les différentes demandes de ses « clients », face à des attentes aussi divergentes et sans projets collectifs, ce n’est pas facile. Avec le « package de la ville du quart d’heure », on gagne les municipales, mais on n’a pas de projets collectifs pour la Nation.
Lors des scrutins locaux, les électeurs des grandes villes choisissent ce qui leur semble être le meilleur programme pour gérer leur cocon urbain habillé par des valeurs correspondant à leur intérêt immédiat. Au niveau national, les citoyens comprennent assez clairement qu’il faut que la machine à produire du pouvoir d’achat continue de fonctionner et estiment, majoritairement, qu’il n’est pas tout à fait sérieux d’affirmer que les difficultés d’un pays où les dépenses publiques pèsent structurellement 55 % du PIB résultent au premier chef des effets d’un néolibéralisme effréné.La fin de l’opposition entre la droite et la gauche historiques (au sens ancien : les rentes vs l’égalité des chances, le partage de la valeur ajoutée entre le travail et le capital, la reproduction des conditions, surtout à travers l’école et l’héritage immobilier1 vs le mérite, l’émancipation par la culture et le travail vs l’aliénation du travailleur machine, etc.) n’est pas le fruit d’une recomposition politique, mais la traduction idéologique d’une évolution fondamentale. Jusqu’à la fin des années 1980, en France, on pouvait encore dire « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain » sans être contredit par les faits.
Les forts gains de productivité du secteur productif généraient un surplus suffisant pour financer l’extension des services publics et de l’État providence. Les surplus d’aujourd’hui servent une augmentation de la valeur des actifs qui concentre le patrimoine et alimentent surtout les recettes fiscales. Il s’en suit une perte de sens et même une inversion des valeurs. La valeur travail, le mérite, l’ouverture sont revendiqués par le bloc élitaire et le repli identitaire, nationaliste ou vers des petites communautés localistes et des tribus sont devenues des valeurs de la gauche populaire qu’elle soit classée – à tort pour la majorité des électeurs – d’extrême droite ou d’extrême gauche. Sans un projet collectif, il sera difficile de concilier des aspirations démocratiques si différentes selon les échelles. Il s’agit d’un défi majeur pour les politiques d’aménagement des territoires et de transport dans un contexte de retour de l’inflation et de nécessaire maîtrise de la consommation d’énergie. L’équipe de TI&M – économie, politique, société – prépare un dossier dans les prochains mois pour apporter sa contribution au débat.
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