Le fret ferroviaire a-t-il raté la fenêtre de tir du « quoi qu’il en coûte » ouverte pendant la crise de la Covid-19 et dont ont bénéficié de nombreux secteurs de l’économie ? Le Gouvernement la referme peu à peu, pour cause d’alerte sur la dette publique. Les entreprises membres de l’Alliance 4F (fret ferroviaire français du futur) créée en 2020 se désespèrent en tout cas du décalage entre le soutien affiché en faveur de ce mode de transport – dont il s’agit officiellement de doubler la part en dix ans – et la réalité en termes financiers. À leurs yeux, la réticence de Bercy vis-à-vis à de la dépense ferroviaire reste une constante. « Face au ministère des Finances, le ministère des Transports gagne de plus en plus rarement les arbitrages », déplore-t-on aussi bien chez Rail Logistics Europe qu’au GNTC.
En matière de soutien urgent, la façon dont le Gouvernement a traité mi-avril les conséquences de la crise énergétique sur leur activité illustre leur analyse. Le ministre délégué aux Transports, Clément Beaune, a autorisé certaines entreprises ferroviaires à se libérer du contrat avec SNCF Réseau pour trouver à partir du 1er juin de l’électricité moins chère sur le marché. Le secteur réclamait une aide directe pour couvrir un surcoût estimé à 200 M€ depuis 2022. « Sur ce dossier de l’énergie, l’État et SNCF Réseau ne sont pas à la hauteur des enjeux du report modal », réagit Ivan Stempezynski, le président du GNTC. Les opérateurs rail-route ne sont pas assurés de bénéficier d’une répercussion automatique de cette mesure. Cela relève de la négociation commerciale au cas par cas avec leur tractionnaire. Dans ce contexte, obtenir des compensations financières de l’État pour couvrir l’impact économique des grèves des retraites tenait de la mission impossible.
En matière d’investissements, le caractère encore flou du plan de 100 Md€ en faveur du rail annoncé par Élisabeth Borne en février a généré de la frustration. Seuls 25 Md€ seront en fait financés par l’État et la Première ministre a très rarement employé le mot fret. La part envisagée pour celui-ci n’a pas été précisée et l’ancienne ministre des Transports n’a pas fait référence au moindre projet jugé important par les rapporteurs du Conseil d’orientation des infrastructures (COI). Y a-t-il encore une volonté politique de développer le train ou bien les pouvoirs publics et leurs opérateurs ont-ils baissé les bras ? Lors de la présentation des (bons) résultats 2022 de la SNCF, il a fallu questionner le PDG du groupe, Jean-Pierre Farandou, pour qu’il parle de fret. Il faut dire que Fret SNCF affiche toujours des résultats nets négatifs et que l’enquête de Bruxelles sur les aides d’État inquiète.
Sans abandonner ses revendications, Alliance 4F veut tenter une approche constructive dans ses rapports avec les pouvoirs publics. Elle a identifié dans le plan Borne – qui s’appuie sur un des scénarios du rapport du COI – quelque 3,5 Md€ d’investissements dédiés aux marchandises (notamment des terminaux pour le transport combiné) et elle souhaite faire cause commune avec le ministère des Transports pour obtenir une loi de programmation pluriannuelle, explique sa secrétaire générale Florence Rodet. Le lobby a proposé à la DGITM une méthode de travail commune pour choisir les investissements à plus fort effet de levier. Ce serait le début d’une déclinaison concrète de la Stratégie nationale pour le fret ferroviaire.